Les investisseurs se ruent sur les liquidités, craignant une récession plus tard dans l'année.
D’ailleurs même Warren Buffett qui a récemment présenté les résultats du conglomérat Berkshire Hathaway pour le premier trimestre de 2023 a continué de remplir son coffre fort
dont la pile de cash s’élève désormais à 130,6 milliards de dollars !
Ces investisseurs versent, entre autres, des milliards et des milliards de dollars dans des placements équivalents à des liquidités tels que des fonds du marché monétaire.
Or, aussi paradoxal que cela puisse paraître, depuis maintenant plusieurs années, chaque fois que l’on expérimente de nouvelles tensions au sein du système financier, provoquant la faillite de banques et de nombreux problèmes d’ordre économique, ce que l’on appelle couramment les fonds du marché monétaire, ou Money Market Mutual Funds en anglais, font la une des journaux économiques et financiers.
Certains l’ont peut être déjà oublié ou ne le savaient pas, mais lorsque la crise des subprimes a éclaté en 2007, ce sont justement ces fonds du marché monétaire qui se sont retrouvés face à ce que l’on pourrait assimiler à une sorte de panique bancaire.
Aujourd’hui encore, les problèmes que les banques américaines expérimentent en cette année 2023 entretiennent une relation particulièrement étroite avec ce type de fonds et les références dans les journaux spécialisés refont surface.
Or, pour mieux comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement, il est tout simplement primordial de comprendre le fonctionnement et les caractéristiques de ce type de véhicule !
Qu’en est-il concrètement ?
Glass Steagal Act, réglementation Q et MMMF
De manière générale, les fonds du marché monétaire sont une alternative aux dépôts bancaires. Cette alternative bien connue dans le monde financier reste pourtant plus ou moins méconnue du grand public.
De ce fait, par nature, ces fonds sont en concurrence directe avec le secteur bancaire traditionnel, concurrence qui gagne de plus en plus de terrain et semble accaparer des parts de marché toujours plus grandes faisant tomber comme des dominos les banques les moins solides et notamment les banques régionales aux États-Unis.
La question que l’on peut légitimement se poser est donc : pourquoi et comment ces véhicules sont-ils apparus ?
En fait, les fonds du marché monétaire sont devenus à la mode au cours des années 70 comme alternative aux dépôts bancaires traditionnels à cause de l’interdiction des banques de payer des taux d'intérêt élevés dans un environnement inflationniste.
Il faut remonter à ce que l’on a appelé à l’époque, la Réglementation Q qui est une réglementation américaine créée dans le cadre de la loi Glass-Steagal Act en 1933 durant la Grande Dépression.
Cette réglementation se déclinait sous la forme de deux mesures visant, d’une part, à interdire aux banques de verser des intérêts sur les dépôts à vue de leurs clients, c’est-à-dire les comptes courants traditionnels, et, d’autre part, à plafonner les taux d’intérêt payés sur les dépôts à terme, c’est-à-dire les comptes d’épargne plus ou moins “bloqués”.
Il faut reconnaître que l’environnement qui a suivi la mise en place de cette disposition n’a pas causé immédiatement des problèmes au secteur bancaire.
En effet, à l’exception de la Seconde Guerre Mondiale, entre le début des années 50 et le début des années 70, l’environnement inflationniste était plutôt stable, permettant aux taux d’intérêt d’être relativement bas, ce qui ne portait pas nécessairement atteinte aux banques qui de toute manière se voyaient limitées dans leur capacité à payer des intérêts sur les dépôts de leurs clients.
Cela est assez logique puisqu’en fin de compte, pour qu'un plafonnement de prix puisse poser problème, il faut que le prix du marché soit supérieur au prix plafond, sinon la mesure n'a aucun effet.
Ce serait comme dire, il est interdit de vendre une baguette de pain à plus de 10 euros l’unité alors que, dans la pratique, sauf exception pour le pain de luxe peut-être, aucune boulangerie ne vend du pain à plus de 10 euros la baguette !
Il fallait donc attendre que l’inflation redémarre et que les taux d’intérêt augmentent, afin de lutter contre l’inflation, pour que les méfaits de cette réglementation deviennent perceptibles.
Les problèmes de la réglementation Q sont donc apparus à partir des années 70, années durant lesquelles l’inflation recommençait à atteindre des niveaux à deux chiffres.
Sur le plan économique, les années 70 sont d’ailleurs marquées par l'apparition d’une situation de stagflation, c’est-à-dire une période de stagnation économique et des chiffres d'inflation élevés ce qui, d’un point de vue des théories keynésiennes, était censé être impossible.
Tout comme la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement, la Réserve Fédérale Américaine se trouve ainsi dans l’obligation d’adopter des mesures de politique monétaire restrictive au travers de hausses de taux d'intérêt afin d’endiguer la hausse inflationniste qui ne retombera à des niveaux convenables qu’une dizaine d’année plus tard.
Le problème c’est que, dans le même temps, les citoyens souhaitaient non seulement profiter de cette hausse des taux pour ainsi mieux rémunérer leur épargne, mais aussi et surtout, ils souhaitaient se protéger contre l’inflation.
Néanmoins, étant donné que les banques ne pouvaient pas payer d'intérêts à leurs déposants en raison de la réglementation Q, les épargnants ont commencé à chercher de nouvelles alternatives.
De ce fait, pour y remédier et éviter de perdre des clients, les banques ont mis en place diverses stratégies pour contourner l'interdiction, en offrant des cadeaux à leurs clients, en leur permettant de profiter de services bancaires à faibles coûts, voire gratuitement ou encore, en octroyant des crédits à taux réduits pour les personnes détenant des comptes spécifiques chez ces entités financières.
En d’autres termes, devant l'impossibilité d'offrir des taux d'intérêt explicites en raison de la réglementation Q, les banques ont proposé le paiement de taux d'intérêt implicites sous une forme différente à la traditionnelle.
Cependant, ce mode de fonctionnement a ses limites et à la fin des années 1960, avec la hausse de l'inflation et des taux d'intérêt à court terme, les paiements en nature des banques ne suffisaient plus à attirer les fonds des clients.
Cela a donc eu pour conséquence d’obliger les directeurs de banques à développer de nouvelles solutions et c’est en 1974, que sont créés les NOW accounts, acronyme anglais de “Negotiable Order of Withdrawal”, que l’on pourrait traduire par Compte d'Ordre de Retrait Négociable.
Les comptes NOW sont une forme de dépôt à vue classique mais qui, grâce à l’ingénierie financière, sont passés outre l'interdiction de paiement d'intérêts de la réglementation Q.
Néanmoins, là encore, l’État est venu fourrer son nez avec cette fois-ci un plafonnement de la rémunération à 5 pour cent jusqu'en 1986, date à laquelle la plupart des limites de taux d'intérêt ont été supprimées et jusqu’en 2011, date à partir de laquelle la réglementation Q à purement et simplement été abrogée.
Comme on peut le voir sur le graphique à l’écran, tout au long des années 70 et des années 80, le principal taux directeur de la Réserve Fédérale Américaine était supérieur à la limite des 5 pour cent imposée aux comptes NOW.
Autrement dit, l’énième tentative de la part des banques pour attirer les fonds de client était vaine, ce qui a une nouvelle fois poussé l’ingénierie financière guidée par la créativité humaine, toujours en avance sur le régulateur, à créer une alternative à la répression financière imposée par Washington : c'est à ce stade que les fonds du marché monétaire ont gagné en popularité et s’est développé la banque dans l’ombre.
Banques VS MMMF : l’émergence du Shadow Banking
Arrivé à ce stade, on est en mesure de mieux comprendre comment les politiciens ont littéralement détruit les banques traditionnelles et ont contribué au développement de ce que l’on appelle en finance le Shadow Banking ou banque dans l’ombre en français.
En effet, compte tenu du plafonnement des taux d’intérêt, dans un environnement d’inflation galopante, portant préjudice avant tout aux épargnants et donc, par voie de conséquence aux banques, les fonds monétaires sont devenus une alternative aux dépôts bancaires.
Pourtant, il convient de rester conscient que les fonds du marché monétaire ressemblent plus à des fonds d’investissement traditionnels, que l’on appelle OPCVM, pour Organismes de Placement Collectifs à Valeur Mobilières, qu’à des banques classiques.
Par conséquent, dans la mesure où lorsque l’on place de l’argent dans ce type de véhicule, l’épargnant ne possède pas un compte courant comme cela est le cas avec la banque, il est légitime de considérer qu’il ne s’agit pas d’un substitut parfait aux dépôts bancaires et donc que la concurrence n’est pas totale.
Et pourtant …
En réalité, les fonds du marché monétaire ont des caractéristiques uniques qui les rendent très similaires aux dépôts.
Pour mieux comprendre, il est possible de se focaliser sur la NAV, acronyme anglais de Net Asset Value, ou valeur liquidative en français.
Pour faire simple, la valeur liquidative correspond à la valeur estimée d'un véhicule d’investissement valorisé au prix du marché à un moment précis.
Autrement dit, comme son nom l’indique, c'est la valeur que l'on obtiendrait si l'on devait liquider le fonds, c’est-à-dire le fermer, en vendant les actifs et en remboursant les dettes pour ensuite récupérer l’argent.
Le résultat est ensuite réparti entre les différents propriétaires du fonds, c’est-à-dire les actionnaires.
On peut donc facilement calculer la NAV au travers de cette formule, ce qui correspond étroitement à ce que l’on appelle valeur comptable pour les entreprises traditionnelles.
La valeur liquidative des fonds est mise à jour périodiquement et dès que la valeur des actifs et des passifs augmente ou diminue, la valeur des actions de ce fonds changera également.
Là encore, on voit que, dans la mesure où la valeur liquidative évolue constamment, un fonds d’investissement ne semble pas être la meilleure alternative aux dépôts bancaires.
En effet, dans le cas des banques traditionnelles la valeur est pour ainsi dire “bloquée”.
Si un individu dépose 1.000 dollars dans une banque, a priori, la valeur nominale du compte bancaire sera toujours de 1.000 dollars et non 950 ou 1.100 dollars.
Et c'est là qu'intervient la particularité des fonds du marché monétaire : leur valeur liquidative est bloquée à 1 dollar. C'est-à-dire que chaque part du fonds commun de placement vaut exactement un dollar.
Si le fonds commun de placement réalise un profit, la valeur liquidative reste bloquée à 1 dollar et la différence est versée sous forme d'intérêts.
Si, à l’inverse, le fonds d'investissement enregistre des pertes, tant qu'elles ne sont pas importantes, la valeur liquidative reste bloquée à 1 dollar également.
Autrement dit, chaque dollar versé à un fonds du marché monétaire vaut exactement un dollar. Ce n'est que lorsque les investissements du fonds les rendent suffisamment mauvais que la parité avec le dollar est rompue : l’expression utilisée en finance pour dire que la NAV casse la parité avec le dollar est “breaking the buck”.
Ainsi, dans la pratique, en “bloquant” la valeur liquidative à 1 dollar, les fonds du marché monétaire sont en concurrence directe avec le système bancaire traditionnel.
En fin de compte, chaque part du fonds a une valeur bloquée d'un dollar de la même manière qu'un dépôt bancaire a sa valeur “bloquée” en termes de dollars. Si je dépose 1.000 dollars dans un fonds du marché monétaire, je me retrouve avec 1.000 parts d’une valeur unitaire d’un dollar.
Le mécanisme est donc assez similaire avec le fonctionnement d’un compte bancaire.
50€ offerts à l'inscription !
Comment Washington a détruit les banques traditionnelles
De plus et pour couronner le tout, les particularités spécifiques aux comptes bancaires et aux parts de fonds du marché monétaire font qu’avec la réglementation Q, Washington a littéralement détruit les banques.
En effet, comme nous avons eu l’occasion de le voir à plusieurs reprises, l’argent déposé dans une banque ne nous appartient pas, nous ne possédons non pas un titre de propriété mais une créance vis-à-vis de la banque. Les dépôts d’une banque sont donc une dette que l’entité a vis-à-vis de ses clients et cette dernière s’engage à les rembourser lorsque ces derniers le lui réclame.
Or, dans le cas des parts d’un fond du marché monétaire, il s’agit bel et bien de titres de propriété, que l’on pourrait assimiler à des actions. Il ne s’agit donc pas de titres de dettes.
L’un des avantages des dépôts bancaires aux États-Unis, c’est que, contrairement aux parts des fonds du marchés monétaires, ils sont garantis par le Fonds de Garantie des Dépôts jusqu'à 250.000 dollars, montant qui est de 100.000 euros au sein de la zone euro.
Les parts de fonds monétaires, n'étant pas des dépôts, elles ne sont garanties par aucun organisme public. Si le fonds du marché monétaire investi mal, les investisseurs pourraient perdre toutes leurs économies.
Néanmoins, fait intéressant, les fonds du marché monétaire qui ont “broke the buck” se comptent sur les doigts d'une main et généralement, même dans une telle situation, les investisseurs ont récupéré la quasi-totalité de leur argent.
Finalement, en ce qui concerne la business model des deux types d’entités financières, tandis que les banques se trouvent avec un bilan déséquilibré et donc particulièrement risqué, le bilan d’un fonds du marché monétaire est équilibré et, en principe, particulièrement sain.
En effet, j'ai déjà expliqué que les banques investissent à long-terme, sur plusieurs décennies, en se finançant à très court-terme, sur des durées extrêmement courtes.
D’ailleurs, cela s’observe très facilement sur cette représentation du bilan des banques américaines. À titre illustratif, plus de 44 % des investissements des banques sont des investissements sous la forme de prêts majoritairement à long-terme financés par des dépôts à très court-terme.
Les fonds du marché monétaire quant à eux ne sont ni plus ni moins que des fonds d'investissement dont la politique est de placer l’argent des épargnants dans des actifs à très court-terme et présentants très peu de risques de façon à ce que les investisseurs puissent récupérer leur argent en vendant leurs parts du fonds très rapidement et sans enregistrer de perte en capital tout en obtenant un certain rendement sur l’argent placé.
C'est l'une des raisons pour lesquelles ces fonds sont particulièrement stables. De plus, le risque de taux d'intérêt, c’est-à-dire la variation de la valeur des actifs due aux variations des taux d'intérêt, est un risque qui affecte fortement les actifs du secteur bancaire et a un impact très limité sur les actifs des fonds monétaires.
Compte tenu de ce que l’on vient de voir et comme l’illustre ce graphique, les fonds monétaires ont connu une forte croissance peu de temps après leur création accaparant plus de 15 % des parts du marché en l’espace de quelques mois jusqu’à atteindre les 35 % en 2001 et 2008.
La baisse des taux qui s’est suivie après la crise des subprimes leur a fait perdre en attractivité, toujours est-il que, désormais, avec la hausse de l’inflation et la remontée des taux d’intérêt,
il redevient pertinent d’opter pour ces véhicules de placement et d’ailleurs les encours ne cessent de croître depuis plusieurs mois !
Finalement, on comprend que la situation dans laquelle le système financier se trouve aujourd’hui n’est aucunement dû à un capitalisme sauvage qui serait coupable de vouloir toujours privilégier le profit au détriment d’une prise de risque inconsidérée mais bel et bien à une répression financière et monétaire au travers de la réglementation qui a mis en exergue ses limites à partir des années 70 poussant à l’émergence d’alternatives aux banques.
Cette même réglementation qui est responsable de la création du shadow banking et qui, dans le même temps, cherche désormais à lutter contre ce système dont elle est à l’origine.
Aujourd’hui, ces alternatives, qui étaient presque tombées dans l’oubli, suite à la décennie de taux bas, refont surface et pourraient bien porter le coup de grâce aux banques qui se trouvent en extrême difficulté …
L’enfer est pavé de bonnes intentions et, parfois, il est intéressant d’étudier l’histoire pour mieux comprendre le présent et mieux se positionner vis-à-vis du futur !