Jamais dans l’histoire de la Cinquième République un gouvernement n’avait chuté aussi vite.
En seulement trois mois, le gouvernement de Michel Barnier s’est effondré, victime d’un vote de censure historique. Cette situation marque un tournant non seulement pour la politique française, mais aussi pour l’avenir de la zone euro.
Pourquoi ?
Parce que la France, deuxième économie de l’Union européenne, traverse une crise politique et budgétaire sans précédent.
Son incapacité à adopter un budget pour 2025 alimente les tensions financières et suscite une inquiétude croissante sur les marchés.
Pourtant, l’enjeu dépasse largement les luttes partisanes françaises.
La chute de ce gouvernement intervient dans un contexte économique et financier tendu, avec une dette publique française qui atteint désormais 112 % du PIB et un déficit prévu à 6 %, bien au-delà des critères européens.
Mais ce qui rend cette situation particulièrement préoccupante, c’est son impact potentiel sur le futur de la zone euro.
Aujourd’hui, la France, traditionnellement considérée comme un pilier de l’Union européenne, se retrouve dans une position inquiétante : elle emprunte à des taux plus élevés que la Grèce, un pays qui incarnait pourtant, il y a quelques années, la crise de la dette en Europe.
Alors, comment en est-on arrivé là ? Pourquoi cette crise dépasse-t-elle le cadre national ? Et surtout, quelles conséquences pour l’Union européenne et l’euro ?
La France entre en crise
Pour comprendre la gravité de la situation actuelle, il faut revenir sur les événements qui ont précipité la chute du gouvernement de Michel Barnier.
Tout commence avec un contexte politique particulièrement instable. Depuis les élections législatives de juin 2024, l’Assemblée nationale est profondément divisée : aucune majorité stable n’a émergé.
La gauche radicale de La France Insoumise et la droite nationaliste du Rassemblement National dominent l’hémicycle, tandis que la coalition centriste d’Emmanuel Macron est affaiblie.
Face à cette impasse, Michel Barnier, ancien négociateur du Brexit, est nommé Premier ministre en septembre.
Sa mission ?
Faire adopter un budget pour 2025, dans un contexte de déficit public galopant.
Mais son programme, mélange de coupes budgétaires et de hausses d’impôts, est immédiatement contesté. Il prévoyait 60 milliards d’économies et d’augmentations fiscales, un effort qui s’annonçait colossal.
Face à l’opposition farouche de l’Assemblée, Barnier décide d’utiliser l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, un outil controversé qui permet de passer en force sans vote parlementaire.
Cette décision provoque la colère de la gauche et de la droite, qui s’unissent pour déposer des motions de censure.
Le 4 décembre 2024, la motion est adoptée avec 331 voix, entraînant la chute du gouvernement. Avec seulement trois mois au pouvoir, Michel Barnier signe le mandat le plus court de l’histoire de la Cinquième République.
Mais, contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette crise dépasse les simples enjeux politiques français.
Derrière cet échec gouvernemental, c’est l’économie française qui vacille.
La dette publique atteint 112 % du PIB, et le déficit prévu pour 2025 dépasse les 6 %, bien loin des critères de Maastricht. La défiance des investisseurs grandit, et les taux d’emprunt de la France s’envolent.
Alors que l’Assemblée nationale reste paralysée, et sans majorité claire pour adopter un nouveau budget, c’est l’avenir économique de la France et son rôle dans l’Union européenne qui sont en jeu.
Ce contexte pose une question cruciale : comment un pays aussi central dans la zone euro peut-il se retrouver au bord de l’ingouvernabilité ?
Et surtout, quelles conséquences pour l’Union européenne si cette crise perdure ?
Une crise qui dépasse les frontières
La crise politique française ne s’arrête pas aux frontières de l’Hexagone. Elle s’étend aux marchés financiers et menace l’équilibre de la zone euro.
La question qui se pose est simple : la France est-elle devenue le maillon faible de l’Union européenne ?
Depuis plusieurs semaines, la France emprunte à des taux de plus en plus élevés.
À titre illustratif, le spread entre les obligations d’État françaises à 10 ans (OAT) et les Bunds allemands a atteint 88 points de base, un niveau inédit.
Ce chiffre est particulièrement inquiétant quand on sait que la France emprunte à 10 ans, à des taux supérieurs à ceux de la Grèce, de l'Irlande, de l’Espagne ou encore du Portugal, des pays autrefois au bord de la faillite pendant la crise de la zone euro et appelés “PIIGS”.
Les investisseurs perdent confiance et deux facteurs clés expliquent cette situation :
1° La dette publique française, qui atteint 112 % du PIB, bien au-delà de la moyenne européenne.
2° L’incapacité à réduire le déficit, prévu à 6 % du PIB pour 2025, alors que les règles européennes imposent un maximum de 3 %.
En 2010, au début de la crise de la zone euro, les pays périphériques, surnommés les PIIGS, faisaient face à des risques de d’insolvabilité.
Aujourd’hui, la situation est différente mais tout aussi alarmante. Ce n’est plus tant l’insolvabilité qui inquiète, mais la crédibilité même de l’euro.
En effet, la France, en tant que deuxième économie de la zone euro, joue un rôle central. Si elle ne parvient pas à stabiliser ses finances, cela pourrait déclencher une perte de confiance dans l’ensemble de la monnaie unique.
L’euro pourrait être perçu comme une devise moins fiable, entraînant une baisse de la demande et une dévaluation face au dollar.
Malgré la situation française, la contagion aux autres pays de la zone euro reste limitée.
Contrairement à 2010, où les spreads des pays périphériques grimpaient en parallèle, les obligations espagnoles, italiennes ou portugaises restent stables. Cela montre que les marchés différencient la crise française d’une crise généralisée de la zone euro.
Mais cette stabilité relative est due au rôle de la Banque centrale européenne.
En effet, depuis 2012, la BCE agit comme prêteur en dernier ressort, ce qui rassure les investisseurs.
Mais jusqu’à quand ?
Car si la France continue sur cette trajectoire, la BCE pourrait être forcée d’intervenir massivement pour stabiliser les marchés.
Or, la situation actuelle n’est pas qu’un problème économique, c’est aussi un défi politique majeur pour l’Union européenne.
Si la France ne respecte pas les règles budgétaires européennes et que la Commission européenne n’impose pas de sanctions, cela pourrait miner la crédibilité de l’UE.
À l’inverse, sanctionner un pays aussi influent pourrait exacerber les tensions politiques.
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Les implications pour l’Union européenne
La situation budgétaire de la France dépasse largement ses frontières. Elle place l’Union européenne face à des choix cruciaux, tant pour préserver la stabilité économique que pour maintenir la crédibilité de ses institutions.
La situation actuelle de l'hexagone viole les règles du pacte de stabilité et de croissance, qui imposent un déficit public maximum de 3 % du PIB et une dette publique maximum de 60% du PIB.
Or, ce Pacte de stabilité et de croissance a été réactivé le 30 avril 2024, après avoir été suspendu depuis mars 2020 en raison de la pandémie de COVID-19.
Bien que cette réactivation s’accompagne d’une réforme visant à moderniser les règles budgétaires de l’Union européenne, tout en maintenant les plafonds de déficit public à 3 % du PIB et de dette publique à 60 % du PIB, les États membres doivent désormais élaborer des plans budgétaires à moyen terme, définissant leurs trajectoires de dépenses ainsi que leurs réformes et investissements prioritaires pour les 4 à 7 années à venir. 
Sauf qu’avec un déficit prévu à 6 % en 2025, la France s’éloigne de ces critères et viole les règles du pacte, mettant la Commission européenne face à un choix difficile :
1° Soit sanctionner la France, comme cela a été fait pour d’autres pays dans le passé, afin de rétablir une certaine discipline budgétaire, mais punir la deuxième économie de la zone euro risquerait d’aggraver la crise et de provoquer des tensions politiques avec la montée de partis anti-européen.
2° Soit ignorer la situation pour éviter une escalade politique ce qui enverrait un message dangereux en incitant d’autres États membres à négliger leurs propres engagements budgétaires, affaiblissant encore davantage le pacte de stabilité et donc la crédibilité même des institutions et de la monnaie unique.
Dans les deux cas, l’Union européenne sort affaiblie et plus la crise perdure, plus les options deviennent limitées.
La Banque centrale européenne, dirigée par Christine Lagarde, joue donc un rôle clé dans la gestion de cette crise.
Jusqu’à présent, la BCE a réussi à limiter la contagion grâce à sa politique de prêteur en dernier ressort.
Mais la situation française teste les limites de son intervention.
En 2012, Mario Draghi avait déclaré qu’il ferait “tout ce qu’il faut” pour sauver l’euro et cette déclaration avait suffi à calmer les marchés.
Aujourd’hui, Lagarde pourrait être contrainte d’aller encore plus loin, notamment en rachetant massivement la dette française pour stabiliser les taux.
Mais une énième intervention pourrait être perçue comme une monétisation de la dette, fragilisant davantage la crédibilité de l’euro.
La crise française met donc en lumière un problème plus large au sein de l’Union européenne : les divergences entre les pays membres.
Les scénarios à venir
Si aucun accord n’est trouvé pour le budget 2025 avant la date limite du 20 décembre 2024, le budget 2024 sera reconduit automatiquement.
Bien que cela évite un “shutdown” à l’américaine, cette solution n’apporte qu’un répit temporaire et ne serait pas sans conséquence pour les ménages.
Du point de vue économique, les seuils fiscaux ne seraient pas ajustés à l’inflation, ce qui augmenterait mécaniquement l’impôt sur le revenu pour de nombreux ménages, les économies nécessaires pour réduire le déficit seraient reportées, laissant les marchés financiers dans l’incertitude et provoquant une augmentation des taux, du déficit et donc de la dette publique, tel un cercle vicieux.
Du point de vue politique, l'absence de réforme aggraverait les tensions sociales et politiques, renforçant les discours des extrêmes menant à la stagnation des réformes nécessaires.
Avec une Assemblée nationale bloquée et sans majorité stable, des élections anticipées pourraient être envisagées après juillet 2025, date où elles deviennent constitutionnellement possibles.
Mais ce scénario ne ferait que prolonger l’incertitude sur les marchés financiers, qui pourraient réagir négativement face à une instabilité politique persistante avec une paralysie des institutions, avec une nouvelle Assemblée potentiellement aussi divisée que l’actuelle.
Face à cette situation préoccupante dans laquelle se trouve notre pays, certains discours tentent de minimiser la gravité en affirmant que, malgré tout, “la France n’est pas en faillite”.
Pourquoi ?
Parce que, selon ces arguments, il suffirait de comparer la dette publique de 3 200 milliards d’euros au montant total des actifs de la nation.
Mais que représentent ces fameux actifs ?
Ils se composeraient du patrimoine économique national, estimé à 20 052 milliards d’euros, et du patrimoine des ménages, évalué à 14 700 milliards d’euros.
Ainsi, l’idée serait de montrer que notre endettement reste “couvert” par ces actifs, un raisonnement qui mérite évidemment d’être analysé avec attention.
1° D’abord, parce que comparer la dette publique aux actifs nationaux est trompeur. En effet, comparer la dette publique (3 200 milliards d’euros) aux actifs de la nation (20 052 milliards d’euros, incluant les ménages et les entreprises) est absurde, car ces deux notions appartiennent à des catégories distinctes.
La dette publique est une obligation financière contractée par l’État. Or, n’en déplaisent à nos chers amis à tendances communistes pour l’expropriation est souvent présentée comme une panacée, les actifs des ménages et des entreprises appartiennent au secteur privé, et non à l’État.
Dire que l’État peut rembourser sa dette grâce aux actifs des ménages reviendrait à prétendre qu’il peut confisquer les biens privés pour financer ses engagements, ce qui est juridiquement et économiquement faux.
Comparer les deux est donc une absurdité. Ce serait comme dire qu’un individu surendetté n’est pas en faillite car il peut rembourser ses crédits en utilisant l’argent de sa famille.
2° Ensuite, parce que les actifs nationaux ne sont pas disponibles pour rembourser la dette. En effet, le patrimoine économique national inclut des infrastructures publiques, des terrains et des biens publics qui ne sont pas “liquidables” sans gravement compromettre le fonctionnement de l’économie.
3° Enfin parce que les flux comptent plus que les stocks. Le problème de la dette publique n’est pas tant son montant total que la capacité de l’État à honorer ses engagements financiers chaque année. Cette capacité repose sur le déficit annuel et le poids des intérêts à payer, qui deviennent insoutenables lorsque la dette atteint des niveaux élevés.
Comparer un stock d’actifs à une dette, qui est une obligation financière récurrente, est un non-sens économique.
La véritable question est : l’État a-t-il suffisamment de recettes fiscales pour payer les intérêts de cette dette et rembourser progressivement le principal ?
Avec un déficit annuel supérieur à 6 % du PIB, la réponse est loin d’être évidente.
Si les actifs de l’État ne produisent pas des recettes suffisantes, ce qui est largement contraint par la capacité de l’État à lever des impôts, déjà poussée à son maximum, le passif, en revanche, est potentiellement illimité dans sa capacité à générer des charges supplémentaires.
Pour couronner les tout, la dette publique de 3 200 milliards d’euros n’intègre pas les engagements hors bilan, qui incluent les retraites des fonctionnaires, les garanties financières et d’autres obligations futures.
Ces engagements hors bilan s’élèvent à 4 000 milliards d’euros, ce qui alourdit considérablement les obligations financières de l’État.
Or, si une partie des garanties hors bilan venait à se matérialiser, cela alourdirait directement la dette publique, sans que les actifs “nationaux” puissent être mobilisés pour y faire face.
Les marchés financiers ne se fient donc pas à une comparaison dette/actifs pour évaluer la solvabilité d’un État. Ils analysent la capacité de remboursement à court et moyen terme, basée sur la dynamique du déficit et de la dette.
Malgré ses actifs importants, la Grèce a connu une crise de la dette souveraine, car elle n’était pas en mesure de stabiliser son déficit budgétaire.
Comparer la dette publique aux actifs de la nation est une manipulation grossière des chiffres qui ne reflète pas la réalité des finances publiques.
Cette rhétorique qui cherche à détourner l’attention des problèmes structurels, tels que la gestion des dépenses publiques, le poids des retraites, et l’incapacité à maîtriser le déficit budgétaire minimise la gravité de la situation en s’appuyant sur des arguments aussi faibles nourrit un faux sentiment de sécurité.
Cela décourage les réformes nécessaires pour maîtriser les dépenses publiques, réduire le déficit et rétablir la confiance des investisseurs.
Le véritable enjeu pour la France est de restaurer une gestion budgétaire saine, de réduire le déficit public et de garantir la confiance des marchés financiers.
Toute tentative de relativiser la gravité de la dette en s’appuyant sur des comparaisons aussi fallacieuses ne fait que retarder l’inévitable confrontation avec la réalité économique.