Ces derniers temps, les nouvelles s’enchaînent à un rythme effréné : financement accru de la défense, appels à mobiliser l’épargne des Français, budgets militaires qui grimpent en flèche, projets de réarmement, et même des chuchotements sur une possible mobilisation générale.
Tout cela fait la une, particulièrement depuis l’allocution du président de la République française le 5 mars dernier.


La dette publique, souvent perçue comme un simple fardeau budgétaire, se transforme sous nos yeux en une arme stratégique, un levier puissant pour financer des guerres et affirmer une influence mondiale.
Avec l’escalade du conflit en Ukraine, les annonces françaises d’un budget militaire visant les 100 milliards d’euros d’ici 2030, et les discussions sur des emprunts colossaux à l’échelle européenne, ce mécanisme vieux comme le monde sort de l’ombre pour reprendre une place centrale.

Comment les États veulent soutenir leurs efforts de guerre, pourquoi ce choix a déjà précipité la chute de grandes puissances, et surtout, qu’est-ce que cela pourrait signifier pour votre portefeuille en 2025.
La dette publique : une arme géopolitique et militaire
S’il y a bien un sujet qui mérite toute notre attention ces derniers temps, c’est celui ayant trait aux emprunts d’État pour financer les guerres.
Si, à première vue, cela peut sembler technique, c’est avant tout une histoire de pouvoir, d’argent et de stratégie. Depuis des siècles, les nations utilisent la dette pour affronter leurs adversaires, soutenir leurs alliés ou simplement tenir bon face à l’adversité.
En mars 2025, avec les tensions qui s’intensifient en Ukraine, ce levier historique revient sur le devant de la scène, et ses enjeux nous concernent tous.
Commençons par poser le décor.
La dette publique n’est pas qu’un déficit reporté à plus tard : c’est une ressource qui permet à un État de dépasser ses moyens immédiats. En empruntant massivement, il peut armer ses troupes, acquérir du matériel ou aider ses partenaires sans dépendre uniquement des rentrées fiscales.
Historiquement, ceux qui savent manier cet outil remportent des victoires décisives et redessinent les équilibres mondiaux.
Pour bien comprendre, remontons quelques siècles en arrière avec un exemple emblématique : Louis XIV, le Roi Soleil.
Au XVIIe siècle, ce monarque ambitieux veut faire de la France la première puissance européenne, capable de tenir tête à l’Espagne, aux Pays-Bas, à l’Angleterre, et au Saint-Empire romain germanique. Ses campagnes militaires sont extrêmement coûteuses. L’une des plus marquantes, la guerre de la Ligue d’Augsbourg, coûte à elle seule l’équivalent de plusieurs années de revenus du royaume.
On estime son coût total à plusieurs centaines de millions de livres tournois sur l’ensemble du conflit, alors que les recettes annuelles moyennes de l’État français avoisinaient à l’époque 80 millions de livres.

Pour y parvenir, il sollicite des banquiers italiens et hollandais, qui prêtent à la couronne à des taux souvent exorbitants. Il émet aussi des rentes viagères, un type d’emprunt ingénieux où l’État verse des intérêts à vie aux prêteurs sans jamais rembourser le capital, une sorte de dette perpétuelle.
Mais ce n’est pas tout : il augmente les impôts jusqu’à épuiser ses sujets, pressurant paysans et bourgeois pour remplir les caisses. Le résultat est impressionnant : la France s’impose comme une puissance dominante, symbolisée par la splendeur de Versailles, qui devient une vitrine de cette grandeur.
Résultat : la France s’impose comme une puissance dominante, symbolisée par Versailles. Mais à sa mort en 1715, la dette atteint 2,4 milliards de livres, soit environ 35 fois les revenus annuels.
Ce fardeau devient insoutenable, alimentant des tensions sociales et économiques qui culminent des décennies plus tard avec la Révolution française de 1789.
L’arrière-arrière-petit-fils de Louis XIV, Louis XVI, en paiera le prix fort, guillotiné par une population exaspérée.
La leçon est limpide : la dette peut propulser un pays vers les sommets, mais une gestion imprudente peut le faire s’effondrer comme un château de cartes.
En 2025, le principe reste inchangé, mais les outils sont bien plus sophistiqués.
Le ministre des Armées plaide pour une trajectoire portant le budget militaire à 100 milliards d’euros contre 47 milliards en 2024 et plus de 50 milliards cette année.

À l’échelle européenne, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, annonce un plan de 800 milliards et explique que les dépenses militaires seront sorties du calcul du déficit plafonné à 3 % du PIB.


L’objectif ?
Envoyer plus de missiles Caesar en Ukraine, booster les défenses de l’OTAN, et montrer à la Russie qu’on ne rigole pas.
Mais cet argent ne tombe pas du ciel.
Les impôts seuls ne suffiront pas, les Français protesteraient trop fort.
Selon les estimations du ministère de l’Économie à Bercy, au moins 15 milliards d’euros par an viendront d’emprunts d’État, sous forme d’obligations vendues aux marchés financiers avec des maturités de 10 ou 20 ans. La France n’est pas un cas isolé.
L’Allemagne remet sur la table un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour moderniser sa Bundeswehr, dont 70 milliards financés par des emprunts.

Même la Pologne, qui consacre déjà 4 % de son PIB à la défense, prévoit d’emprunter 10 milliards d’euros en 2025 pour acheter des drones et des chars.

Ces chiffres, ce ne sont pas juste des lignes budgétaires : c’est une façon de crier au monde que le vieux continent est prêt à se mobiliser.
En guise d’exemple historique, on peut mentionner les États-Unis pendant la Première Guerre mondiale.
Avant 1914, ils doivent de l’argent à l’Europe, environ 4 milliards de dollars, surtout à Londres. Mais quand ils entrent en guerre en 1917, ils renversent la table.
Ils prêtent 10 milliards de dollars à la France et au Royaume-Uni sous forme de crédits d’État.
À la fin, en 1919, Londres doit 4,7 milliards et Paris 4 milliards à Washington.
Les Alliés gagnent le conflit, mais les États-Unis passent de débiteurs à créanciers mondiaux.
La Grande-Bretagne, qui dominait les finances globales depuis un siècle, perd alors sa couronne.
En gros, la dette a redessiné la carte du pouvoir en quelques années.
Pourtant, le mécanisme est, on ne peut plus simple.
D’abord, l’État émet des obligations, des titres de créance qu’il vend à tout le monde, citoyens, banques, fonds d'investissement.
Ces obligations, c’est comme un contrat : je te prête 100 euros aujourd’hui, et dans 10 ans, je te rends 100 euros plus 4 % d’intérêts par an.
En mars 2025, la France sort des OAT, c’est-à-dire des Obligations Assimilables du Trésor, à 10 ans avec un taux de 4,5 %, soit le taux le plus élevé depuis 14 ans, contre des taux proches de 0 voire négatifs il y a quelques années,


alors même que les Banques Centrales continuent de baisser leurs taux directeurs.

La raison est relativement simple !
Les marchés sentent le risque : plus de guerre, plus de dépenses, plus de chances que ça dérape.
En Allemagne, les Bunds à 10 ans passent de 1,8 % à 3,5 % sur la même période. Chaque point de plus, c’est des milliards d’intérêts en supplément.

Ensuite, les banques centrales.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Réserve fédérale américaine et le trésor ont entretenu une étroite relation.
Le plan prévoyait de financer la guerre dans toute la mesure du possible par l’impôt et l’emprunt intérieur.
Le financement de la guerre par des prélèvements sur les revenus minimiserait les pressions inflationnistes, favoriserait l’expansion économique pendant la guerre et favoriserait la stabilité économique une fois la paix revenue.
Pour orienter l'épargne des citoyens américains vers l'effort de guerre, le Trésor et la Réserve fédérale ont commercialisé une gamme de titres qui répondaient aux besoins de toutes les catégories d'investisseurs, des petits épargnants souhaitant investir pendant toute la durée de la guerre aux grandes entreprises disposant de fonds temporairement inutilisés.
Pour maintenir les coûts de la guerre à un niveau raisonnable, le Trésor a demandé à la Réserve fédérale de fixer les taux d’intérêt à des niveaux bas.

Pour éviter que les augmentations de prix ne compromettent l'effort de guerre, le gouvernement a institué une série de programmes. Il s'agissait notamment de réglementations sur les prix des biens et des salaires des travailleurs et d'un programme de rationnement des produits rares et des biens de consommation durables.
La Réserve fédérale a contribué à ces efforts en réglementant le crédit à la consommation et en achetant massivement la dette publique.
La Fed a considérablement élargi ses avoirs en obligations pour stabiliser les marchés et fournir des réserves aux banques. Les avoirs totaux en titres du Trésor à la fin de 1941 étaient d'environ 2,3 milliards de dollars, et à la fin de 1945, ils avaient atteint environ 24,3 milliards de dollars, soit une augmentation d'environ 22 milliards de dollars sur la période, soit près de 500 milliards de dollars d’aujourd’hui..


En Europe aujourd’hui, la Banque centrale européenne pourrait jouer un rôle similaire.
Si, lors d’une conférence à Francfort le 6 mars 2025, Christine Lagarde, présidente de la BCE, a insisté sur le fait que la mission principale de la banque reste la stabilité des prix, et non le financement direct des dépenses militaires.
Cependant, les revues de stabilité financière de la BCE surveillent les risques liés aux dettes souveraines, ce qui pourrait inclure des interventions indirectes si les marchés vacillent..
Finalement, les investisseurs privés entrent dans la danse.
Fonds de pension, hedge funds, et même particuliers achètent ces obligations, soit pour les rendements, soit par patriotisme.
Une anecdote historique illustre bien cela : pendant la guerre de Sécession américaine en 1862, le banquier Jay Cooke révolutionne le financement de guerre.
Il lève 500 millions de dollars en vendant des obligations unionistes et c’est l’armée de 2 500 agents qui frappent aux portes des citoyens pour lever des fonds.
En 2025, l’approche est moins romantique : les gros acheteurs sont des géants comme BlackRock ou Vanguard, qui placent des milliards dans les OAT françaises ou les Bunds allemands, cherchant à profiter des taux attractifs.
Une anecdote : pendant la guerre de Sécession, en 1862, le banquier Jay Cooke révolutionne le système. Il vend 500 millions de dollars d’obligations unionistes – 10 milliards actuels – en recrutant 2500 agents qui font du porte-à-porte dans les campagnes. Ils tapent chez les fermiers, les ouvriers, même les prêtres, avec un discours bien rodé : mets 50 dollars pour sauver l’Union ! Les gens vident leurs économies, et ça finance les canons qui battent les Confédérés. En 2025, c’est moins romantique : les gros acheteurs, ce sont BlackRock ou Vanguard, qui placent des milliards dans les OAT françaises ou les Bunds allemands.
Un dernier exemple, au XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne invente les Consols, des obligations perpétuelles sans date de remboursement.
Les Consols, ou Consolidated Annuities, étaient des obligations émises par le gouvernement britannique pour consolider diverses dettes en une seule forme d'emprunt. Leur structure sans date de maturité les rendait attrayants pour les investisseurs, car ils offraient un revenu fixe à perpétuité.
Tu prêtes 100 livres, et l’État te verse 3 % d’intérêts chaque année, pour toujours.
Entre 1793 et 1815, ces Consols permettent de lever plusieurs millions de livres pour financer les guerres contre Napoléon et ce système était si efficace que les Consols ont payé des intérêts deux siècles plus tard, jusqu’en 2015 !

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La dette publique une bombe interne
Mais attention, emprunter à ce niveau, c’est comme jongler avec des torches enflammées : impressionnant quand ça marche, désastreux si ça échappe.
À court terme, cela fonctionne : les États équipent leurs armées, livrent des drones, des missiles, et payent leurs soldats. Mais à long terme, les risques s’accumulent, et ils sont sérieux.
Premier risque : l’inflation.
Quand un État injecte des milliards, en temps de guerre, l’offre de biens ne suit pas, car les usines tournent pour l’effort militaire ou les routes sont coupées.
Résultat : les prix s’envolent.
En février 2025, l’inflation en zone euro atteint 2,4 %, en légère baisse par rapport au mois précédent bien que l’incertitude économique plane.

Et on se souvient comment les sanctions contre la Russie avaient fait grimper le prix du gaz contribuant à accentuer l’inflation qui s’était envolée à la suite du covid en 2020-2021.

En cas d’aggravation du conflit, on peut donc légitimement s’attendre à de nouvelles poussées inflationnistes.
Deuxième danger : la hausse des taux d’intérêt.
Si les investisseurs doutent de la capacité d’un pays à rembourser, ils exigent des rendements plus élevés pour compenser le risque.
On l’a vu, malgré la baisse des taux de la BCE, les pays subissent une hausse des taux d’intérêt sur leur dette. Pour la France, dont la dette publique dépasse 3 200 milliards d’euros, chaque point de taux supplémentaire représente des dizaines de milliards d’euros d’intérêts annuels !
La situation est d’autant plus absurde que le paiement des intérêts de la dette équivaut presque au budget de la défense. Et pourtant, après des années de mauvaise gestion des finances publiques, ces dirigeants veulent maintenant mobiliser l’épargne des citoyens pour combler leurs erreurs, alors qu’une gestion plus responsable de l’endettement aurait libéré ces ressources bien plus efficacement.

Le pire scénario reste évidemment l’insolvabilité.
Ces risques ne sont pas théoriques : ils menacent l’équilibre économique mondial et il suffit de remonter dans le temps pour se rendre compte du caractère concret de la situation, notamment en temps de guerre.
Pendant la Première Guerre mondiale, les États-Unis et la France ont mobilisé l’épargne de leurs citoyens pour financer l’effort de guerre à travers des obligations d’État.
Lorsque les États-Unis entrent en guerre en 1917, le gouvernement lance les Liberty Bonds pour lever des fonds destinés à financer la production de cuirassés, fusils et avions. L’objectif est d’encourager la population à investir dans la victoire militaire et permettra de lever 17 milliards de dollars au total à travers quatre émissions successives.
Le gouvernement placarde des affiches patriotiques avec des slogans et le soutien de célébrités pour inciter la population à souscrire.



La France en fera de même via les bons de la défense nationale.

La Seconde Guerre mondiale pousse le concept plus loin. Les États-Unis émettent 185 milliards de dollars de War Bonds, soit l’équivalent de 3 000 milliards d’aujourd’hui, c’est-à-dire la totalité de la dette française en l’espace de quelques années !

Même Walt Disney fait des dessins animés de propagande pour inciter les citoyen à acheter ces titres obligataires !
Résultat ?
La moitié des Américains y mettent leur argent, couvrant la moitié des milliards dépensés pour battre Hitler et le Japon.
Au Royaume-Uni, ce sont les Savings Certificates qui sont utilisés pour financer l’effort de guerre. Mais en 1945, la dette britannique atteint 250 % du PIB, un niveau record qui fragilise durablement l’économie du pays.
Pendant ce temps, l’Inde accède à l’indépendance en 1947, suivie par de nombreux pays africains, tandis que la livre sterling perd sa suprématie. La guerre est gagnée, mais la dette précipite la chute de l’Empire britannique.

L’hyperinflation allemande des années 1920 est un exemple extrême d’effondrement monétaire.
Après la Première Guerre mondiale, le Traité de Versailles impose à l’Allemagne des réparations s’élevant à 132 milliards de marks-or, soit environ 300 % de son PIB annuel de l’époque.
Pour honorer ces obligations, le gouvernement allemand augmente massivement la masse monétaire en imprimant des billets et en contractant des emprunts sans restriction.
En 1919, le taux de change est de 10 marks pour un dollar américain. Cependant, en novembre 1923, ce taux atteint 4 500 milliards de marks pour un dollar.


Les prix doublent alors tous les deux jours, rendant la monnaie pratiquement sans valeur.
Les billets ne valaient plus rien et cette crise anéantit l’épargne des citoyens et crée un profond mécontentement social et économique.


Ce climat d’instabilité pave la voie à l’ascension d’Adolf Hitler, qui est nommé chancelier en 1933.
La guerre en Ukraine remet la dette et la mobilisation de l’épargne publique au centre du jeu.
Depuis 2022, l’UE et les USA ont versé 200 milliards d’euros d’aide, dont 90 milliards pour des armes.

Et les citoyens dans tout ça ?
On le sait, quand les États s’endettent à des niveaux vertigineux, souvent pour financer leurs ambitions belliqueuses ou faire face à des crises prolongées, ils ont une fâcheuse tendance à se tourner vers l’épargne privée.
Historiquement, ce réflexe n’est pas nouveau. En 1917, les Liberty Bonds aux États-Unis ont absorbé près de 10 % des revenus des ménages américains, un effort colossal demandé aux citoyens pour pallier les besoins financiers de l’État.

Aujourd’hui, en 2025, le Livret A en France représente une manne impressionnante de 600 milliards d’euros, selon les dernières estimations disponibles.

Ce bas de laine collectif, censé être un refuge pour les épargnants, devient une cible tentante pour des gouvernements aux abois, sans compter l’inflation qui viendrait ronger une fois de plus l’épargne des citoyens !

Les précédents historiques montrent que les États n’hésitent pas à aller plus loin en cas de crise majeure.
Et, avec des taux d’intérêt qui grimpent pour les obligations d’État, l’épargne des citoyens redevient une cible privilégiée, comme un écho aux heures sombres du XXe siècle.
Pour conclure, la dette publique pour financer la guerre, c’est une vieille recette qui peut tout changer. Elle a propulsé les États-Unis au sommet, aidé la Grande-Bretagne à battre Napoléon, mais aussi ruiné l’Allemagne dans les années 1920 et enterré l’Empire britannique.
En mars 2025, avec la guerre en Ukraine qui pousse la France et l’Europe à emprunter des dizaines de milliards, on joue un jeu risqué : montrer les muscles face à la Russie, oui, mais à quel prix ?
Inflation qui décolle, taux qui écrasent, insolvabilité qui plane, et peut-être une main dans notre épargne …