Si aujourd’hui, on a plutôt tendance à parler de dédollarisation et de fin de l’hégémonie du billet vert, parmi certains pays, il y en a un qui fait figure d’exception, notamment depuis l’élection de son nouveau Président.
En effet, la semaine dernière, Javier Milei, économiste libertaire, a remporté l’élection présidentielle en Argentine et prendra ses fonctions à partir du 10 décembre prochain.
Et parmi l’une des différentes mesures que ce dernier propose, il y en a une, de taille, qui est vigoureusement contestée par certains, et vivement encouragée par d’autres pour sa nature radicale : la réforme monétaire !
Évidemment, pour un pays qui connaît actuellement des taux d’inflation dépassant les 140 pour cent, et qui subit régulièrement de poussées d’hyperinflation, il est compréhensible que certains veuillent y remédier définitivement.
Qui est Javier Milei ?
Comment l’Argentine en est arrivée à un tel niveau de catastrophe économique ?
En quoi consiste les mesures du nouveau Président élu, seront-elles efficaces et quels en sont les risques ?
La puissance en devenir en péril
Le premier Président libéral libertaire de l’histoire de l’humanité !
C’est ainsi que s’est défini le nouveau Président élu !
Bien qu’il soit diabolisé par la presse et parfois comparé à Donald Trump ou Jair Bolsonaro, en réalité, Javier Milei partage très peu de caractéristiques communes à ces deux individus.
Il est vrai que ses mesures peuvent sembler radicales, mais il ne faut pas perdre de vue l’état déplorable dans laquelle se trouve l’économie argentine.
40 pour cent de la population se trouvent en situation de pauvreté,
le pays a fait plusieurs fois défaut sur sa dette publique, aboutissant à une restructuration et faisant de lui le plus grand débiteur auprès du Fonds monétaire international.
Le peso s’est effondré de plus de 99 pour cent face au dollar, depuis 2004 :
et la situation est telle qu’il existe plusieurs taux de change entre le peso argentin et le dollar américain. Alors qu’officiellement, un Argentin paie 350 dollar pour recevoir 1 seul et unique dollar, sur le marché noir, il est nécessaire de payer près du triple, soit 1.000 pesos pour recevoir 1 seul et unique dollar.
Pour couronner le tout, la monnaie argentine est tellement mal gérée que les niveaux d’inflation dépassent les 140 pour cent.
Autrement dit, tous les ans, les prix doublent. Cela signifie qu’un panier de course qui couterait aujourd’hui 60 euros, couterait l’année prochaine 120 euros, puis 240 euros l’année suivante, 480 euros l’année d’après et ainsi de suite.
Cela paraît fou pour la plupart des pays occidentaux, où les taux d’inflation, certes élevés, restent raisonnables en comparaison avec des pays souffrant d’hyperinflation.
Pour mieux visualiser ce phénomène, on peut voir sur cette photo, issue d’un supermarché argentin, qui est devenue virale récemment sur les réseaux sociaux, une feuille accrochée à une étagère sur laquelle il est écrit “los precios de góndola pueden variar en línea de caja”.
Autrement dit, les prix affichés en rayon peuvent différer des prix en caisse.
Pour autant, la situation économie en Argentine n’a pas toujours été ainsi.
Entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle, l’Argentine était considérée comme une terre d’opportunités et une puissance émergente. Mais à partir de 1900, son économie est passée du treizième rang mondial au 66ème rang en termes de PIB en parité de pouvoir d’achat par habitant.
Entre les périodes d’instabilité institutionnelle, différents coups d’État, des politiques ratées et des tentatives pour les corriger, une dépendance à l’égard des matières premières et des dépenses publiques extrêmement élevées, le cocktail était parfait pour promouvoir l’effondrement d’une puissance en devenir.
Cela signifie qu’entre le moment où une personne entre dans le supermarché jusqu'au moment où elle paie en caisse, les prix ont pu augmenter.
Concrètement, le fait de passer 20, 30 ou 40 minutes à l’intérieur du magasin peut avoir un impact plus ou moins important sur le prix final.
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Un nouvel espoir ?
Cela n’est un secret pour personne, les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. Les politiciens étant par nature guidés par le court-termisme et les prochaines élections, il est normal que ces derniers mentent et ne tiennent pas leurs promesses électorales.
Javier Milei, vivement critiqué pour aller à l’encontre du politiquement correct et souhaitant mettre en terme au fiasco argentin, envisage donc d’adopter 2 grandes mesures que sont :
1° La réduction du poids de l’État au travers d’une campagne de privatisation et de libéralisation de nombreux secteurs de l’économie, une diminution du nombre de ministères passant de 20 à seulement 8 et une réduction du nombre d’impôts.
2° Il souhaite également régler le problème monétaire dont soufre le pays, permettant ainsi de diminuer la dette publique, le déficit budgétaire et l’inflation.
En résumé, des coupes budgétaires, la stabilisation de la valeur de la monnaie, des privatisations, une simplification fiscale et une déréglementation.
Mais l’un des points qui est sans aucun doute le plus intéressant réside dans la volonté du nouveau Président de dollariser l'économie argentine, dans un contexte où l’on ne cesse de nous répéter que le dollar serait supposément sur le point d’être supplanté par une devise alternative, comme la monnaie chinoise ou la monnaie des BRICS.
Cette proposition signifie que la monnaie argentine ne serait plus le peso, mais le dollar, entraînant la fermeture de la Banque Centrale de la République Argentine, qui perdrait ainsi la capacité d'émettre de la monnaie, tandis que le gouvernement argentin commencerait à percevoir ses impôts en dollars, signant ainsi la fin du peso argentin.
Bien que radicale et qu'elle ne soit pas exempte de risques, cette mesure est malheureusement nécessaire étant donné l’incapacité systématique de la classe politique argentine à gérer sa propre monnaie sans parasiter et altérer sa valeur et à piller les citoyens au travers de l’inflation.
Avec cette nouvelle disposition, si le gouvernement souhaite s’endetter, il devrait émettre de la dette argentine en dollars sur les marchés internationaux qui jugeraient la solvabilité de l'émetteur argentin et la pertinence de lui prêter de l’argent.
Dollarisation : entre risques et opportunités
Évidemment, le simple fait de dollariser l'économie argentine ne signifie pas nécessairement que l'inflation disparaîtra.
Dit autrement, dans la mesure où la cause ultime de l'inflation en Argentine est la dominance fiscale, la dollarisation n'est ni une condition nécessaire, ni une condition suffisante pour mettre fin à l'inflation.
En effet, la dominance fiscale est une situation où la politique monétaire est dépendante de la politique budgétaire, la première se conformant aux nécessités imposées par la seconde. Ainsi, dans une situation où les gouvernements argentins avaient le désir de dépenser toujours plus qu'ils ne gagnent, la Banque Centrale de la République Argentine venait monétiser la dette publique.
Or, si le gouvernement argentin émet beaucoup plus de dette publique que ce que l'économie nationale et étrangère n’en souhaite, alors, le gouvernement doit trouver une manière de transformer cette dette en billets de pesos.
Ce qui finit par se produire, c'est que, étant donné que les marchés ne veulent pas non plus de ces pesos qui sont simplement le remplacement de la dette publique émise par le gouvernement argentin pour financer ses déficits publics excessifs, c'est que la valeur du peso qui fini par s'effondrer, générant ainsi des niveaux inflationnistes élevés et persistants.
Par conséquent, c'est ce problème central qu'il faut résoudre et si l'Argentine pouvait résoudre ce problème de dominance fiscale, alors, il ne serait pas nécessaire de dollariser l'économie pour lutter contre l'inflation.
Par conséquent, bien qu'en théorie la dollarisation ne soit pas nécessaire, compte tenu de la maigre qualité des institutions argentines et de la composition de la classe politique, il est peu probable que sans mesures drastiques, l'Argentine puisse mettre fin de manière persistante à l'inflation.
La fermeture de la Banque Centrale de la République Argentine permettrait de rendre beaucoup plus difficile pour les politiciens de monétiser leurs déficits publics en dévaluant la valeur d'un peso qui n'existerait plus et qu'ils ne pourraient plus émettre.
Le hic, c'est que, bien que nécessaire, non seulement la dollarisation pourrait ne pas être efficace, mais, en plus, elle pourrait supposer de nombreux risques.
1° Premièrement, la dollarisation de l’économie pourrait ne pas être efficace pour deux raisons.
-D’une part, parce qu’en cas de dollarisation, les banques privées argentines possèderaient des dollars en réserve et le gouvernement argentin pourrait les obliger à acheter de la dette publique avec leurs réserves en dollars.
Au travers de cette mesure visant à siphonner les banques, ces dernières se retrouveraient sans réserves en dollars, qui passeraient entre les mains du gouvernement argentin, qui pourrait ainsi dépenser plus que ce qu’il ne perçoit.
Le risque dans un tel contexte, c’est de devoir faire face à une situation semblable au corralito de 2001, l’effondrement de l’économie et une nouvelle poussée inflationniste.
-D’autre part, parce que le gouvernement argentin pourrait continuer de dépenser plus qu'il ne reçoit, en payant des dettes à court terme au travers de ce que l’on appelle des billets à ordre libellés en dollars. C'est quelque chose que, l'Argentine a également déjà fait pendant la crise de 2001. Par exemple, la province de Buenos Aires, émettait des dettes à court terme payables en pesos grâce aux célèbres patacones.
Avec cet outil, les retraités ou les fonctionnaires percevraient leurs pensions ou leurs salaires, non pas en dollars, mais en dette à court terme payable en dollars. C’est comme si le gouvernement devenait capable d'émettre lui-même une nouvelle monnaie, une dette payable en dollars, qui circule à l'intérieur de l'Argentine.
Et évidemment, si à la fin du mois, ce billet qui est censé être remboursé dollars sonnants et trébuchants n’est pas fait, il suffirait que le gouvernement argentin émette une autre série de billets à ordre libellés en dollars et amortissables dans un mois, avec lesquels il remplacerait la vieille série émise. Cela ferait donc perdre de la valeur au précédent billets à ordre, générant de facto une nouvelle période inflationniste.
On comprend donc pourquoi, la dollarisation n’est pas une condition nécessaire, car en théorie, il pourrait y avoir d'autres méthodes qui mettraient également fin à l'inflation, et elle n'est pas une condition suffisante non plus parce que le gouvernement argentin pourrait trouver à l'avenir de nouveaux mécanismes pour imposer sa dominance fiscale dans une économie dollarisée.
Pour autant, on pourrait dire que la dollarisation serait comme mettre une camisole de force à un criminel pour l'empêcher de commettre des délits.
Cependant, mettre une camisole de force à un criminel n'est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour qu'il cesse de commettre des délits.
En effet, elle n’est pas une condition nécessaire, car une personne pourrait cesser de commettre des délits parce qu'elle a compris que c'est mal de le faire.
De la même manière, la camisole de force, n'est pas non plus une condition suffisante pour que ce criminel cesse de commettre des délits, parce que s’il est capable de s’en libérer, il recommencera à commettre des délits.
Cependant, mettre une camisole de force à un criminel pour l'empêcher de commettre des délits augmente substantiellement la probabilité qu'il cesse de commettre des délits, car nous lui rendons la tâche beaucoup plus difficile.
2° Deuxièmement, la dollarisation de l’économie pourrait supposer de nombreux risques dont deux différents que sont : le risque d'une crise financière et le risque d'une crise commerciale.
-D’une part, en ce qui concerne le risque d'une crise financière, dans nos systèmes financiers actuels, la grande majorité des banques doivent de l’argent à court terme, avec les dépôts des clients, et prêtent de l’argent à long terme, au travers des crédits immobiliers, des prêts aux entreprises, et ainsi de suite.
Cette activité est à haut risque, car si à un moment donné les banques ne peuvent pas renouveler les échéances de leur dette à court terme, ces banques entrent en cessation de paiement et sont susceptibles de faire faillite. C’est pour cette raison, entre autres, que si une banque fait faillite, l'État la sauve en la recapitalisant et si une banque a un problème de liquidité, la banque centrale qui agit comme prêteur en dernier ressort en la refinançant.
On comprend donc que, si une économie comme l'Argentine se dollarise en fermant sa banque centrale, la figure du prêteur en dernier ressort disparaît. Et si, à ce moment-là, les banques privées restent très endettées à court terme par rapport à leurs positions d'investissement à long terme, ces banques privées peuvent se retrouver soudainement confrontées à un très gros problème de liquidité qu'elles ne peuvent pas résoudre sur le marché. Cela impliquerait des cessations de paiement dans le système financier et donc le non-remboursement de l’argent des comptes bancaires des citoyens.
En revanche, à long terme, la dollarisation serait bénéfique pour la discipline et la responsabilité du système financier : si les banques apprennent qu'il n'y a pas de prêteur en dernier ressort pour les sauver, elles s'endetteront à court terme et investiront à court terme, ou si elles veulent investir à long terme, elles s'endetteront à long terme, c'est-à-dire qu'elles équilibreront leurs positions de liquidité.
Cette mesure, qui ne serait pas sans risque sur le court-terme, serait bénéfique sur le long-terme pour promouvoir des comportements financiers plus responsables parmi les banques et nécessiterait donc une période de transition et d’adaptation.
-D’autre part, en ce qui concerne le risque de crise commerciale, celle-ci ne se résout ni à court-terme, ni à long-terme. Si l'Argentine se dollarise, cela signifie que le pays adopte comme monnaie propre la monnaie émise par une banque centrale étrangère, dans ce cas, la Réserve fédérale des États-Unis.
Or, la FED adapte sa politique monétaire aux besoins de l'économie américaine et non pas aux besoins de l'économie argentine, ce qui pourrait mener à ce que la politique monétaire de la FED provoque, par exemple, une forte appréciation du dollar sur les marchés internationaux qui n'a aucun rapport avec la position commerciale extérieure de l'économie argentine.
Dans un tel cas de figure, l’argentine pourrait se trouver dans une situation de déficit commercial et l’appréciation du dollar américain creuse encore plus ce déficit commercial argentin.
Dans ce contexte, étant donné que l’Argentine ne pourrait plus manipuler sa monnaie de manière autonome, car soumise au dictat du dollar, le pays pourrait perdre en compétitivité.
La seule solution possible serait que les prix des marchandises argentines baissent pour que les acheteurs étrangers acceptent de faire l’acquisition de biens argentins et que le pays regagne en compétitivité.
Ainsi, la dollarisation, en privant l'Argentine de l'autonomie monétaire pour déprécier le taux de change, force l'ajustement face à une crise commerciale à se faire par les prix internes, ce qui, en réalité, n’est pas si négatif que ce que l’on pourrait penser.
Je n’entrerai pas plus dans les détails pour ne pas complexifier, toujours est-il que les crises commerciales, dans une économie dollarisée, ont une forte probabilité de se transformer en récessions internes si l'économie ne bénéficie pas d'une flexibilité interne des prix suffisante.
D'où, d'ailleurs, la volonté de Javier Milei de libéraliser complètement l'économie interne et ne pas se limiter uniquement à la dollarisation.
Néanmoins, une économie dollarisée qui s'expose à une récession pendant une crise commerciale peut engendrer d'autres types de crises qui, en fin de compte, dégénèrent en crise inflationniste.
Je m'explique : si face à une récession économique, conséquence d'une crise commerciale, le gouvernement souhaite stimuler l'économie avec des déficits publics, mais que ce gouvernement ne peut pas le faire au travers de la politique monétaire, il devra la stimuler soit en dépensant plus sans augmenter les impôts, soit en réduisant les impôts sans réduire les dépenses, c'est-à-dire dépenser plus d’argent qu’il n’en gagne en creusant le déficit et en générant de la dette.
Le problème, c’est que cette dette, sera libellée en dollars, ce qui implique qu'elle devra être placée sur les marchés internationaux et si le gouvernement accumule beaucoup de dette publique en dollars, sa solvabilité sera remise en question.
Ainsi, plus le gouvernement, dont la solvabilité diminue, continue de stimuler l'économie, plus il devra trouver d’acheteurs et pourrait obliger les banques argentines de puiser dans leurs réserves en dollars.
Cela transformera une crise commerciale en crise de la dette publique et en crise financière répliquant susceptible de faire plonger le pays, une nouvelle fois, dans une situation similaire à celle du corralito de 2001.
Évidemment, ce problème n'existerait pas si tous les pays partageaient une même monnaie, comme l'étalon-or. Aucun pays ne pourrait déprécier ou apprécier sa monnaie par rapport aux autres, éliminant ainsi les avantages ou désavantages compétitifs au travers de la manipulation monétaire. La seule manière de gagner en compétitivité serait de produire des biens de meilleure qualité.
C'est donc le fractionnement du système monétaire international qui génère ce type de problèmes de change, pouvant déboucher sur des crises commerciales, de dette publiques et financières.
Il faut donc être très prudent, car même si la dollarisation semble être la meilleure alternative pour mettre fin à l'inflation qui a ravagé l'économie argentine ces dernières décennies, cela ne signifie pas qu'elle soit exempte de problèmes. Il n'y a malheureusement pas de bonnes alternatives, seulement des alternatives moins mauvaises, et dans ce cas, la dollarisation est probablement la moins mauvaise de toutes.