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Échec et Mat au Pétrole : l'OPEP coincé dans le dilemme du prisonnier | Libre et riche

Les prix du pétrole ont pris un sacré coup depuis maintenant un an !

Le pétrole brut Brent, traditionnellement utilisé pour fixer le prix d'environ les deux tiers de l'approvisionnement mondial en pétrole échangé au niveau international, s’est effondré à 74 dollars après avoir atteint un sommet à 120 dollars soit, une chute de près de 40 pour cent !

Or, aussi curieux que cela puisse paraître, il n’y a rien d’étonnant à cela, alors même que l’Arabie Saoudite annonçait en début de mois une coupe supplémentaire d’un million de barils par jour afin de doper les cours de l’or noir.

En fait, la raison est simple : chaque fois que l'Arabie saoudite annonce des réductions, en réalité, cela revient à subventionner les producteurs mondiaux de pétrole à ses propres dépens.

Qu’en est-il concrètement ?

Pourquoi le marché du pétrole continue de chuter alors même que l’OPEP fait tout pour que le contraire se produise et quel est le dilemme auquel est confronté l’Arabie Saoudite ?

L’OPEP face au dilemme du prisonnier

Bonjour à toute la communauté et bienvenue pour une nouvelle vidéo, je suis Mathieu de la chaîne Libre&Riche !

Il fut un temps, notamment dans les années 1970, où l’Arabie saoudite et l'OPEP, c’est-à-dire l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétroles, fournissaient environ 60 pour cent du marché mondial du pétrole.

Or, cette période est aujourd’hui révolue et les parts de marché de l’organisation se trouvent désormais sous les 38 pour cent.

Ainsi, l’OPEC, considérée comme un cartel visant à réguler la production et le prix par un effort coordonné de ses pays membres, notamment en instaurant un système de quotas de production, se retrouve aujourd’hui coincé dans ce qu'on appelle le “dilemme du prisonnier”.

Ce dilemme du prisonnier qui nous vient tout droit de ce que l’on appelle la théorie des jeux est pourtant très souvent sous-estimé voire oublié par un grand nombre d’analystes.

Ce phénomène met d’ailleurs en exergue la raison pour laquelle la logique du marché fait que tout regroupement d’intérêts similaire finit tôt ou tard par être détruit.

En termes simples, le dilemme du prisonnier est un concept de théorie des jeux inventé par le mathématicien Albert Tucker pendant la guerre froide en 1950 comme un moyen d'aider à prendre des décisions stratégiques.

Il s'agit essentiellement d'une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où, en l'absence de communication entre les deux joueurs, chacun choisira de trahir l'autre si le jeu n'est joué qu'une fois.

Autrement dit, les décideurs individuels sont toujours incités à choisir la solution qui crée le résultat le moins optimal pour le groupe.

L’exemple le plus couramment donné est celui où deux hommes sont arrêtés car soupçonnés d’un même crime mais la police n'a pas de preuves pour les inculper. Les hommes sont donc emprisonnés et retenus dans des cellules séparées sans pouvoir communiquer l’un avec l’autre.

L'autorité pénitentiaire offre à chacun des prisonniers l’un des trois choix suivants :

1° Si un seul des deux prisonniers dénonce l'autre, il est remis en liberté alors que le second obtient la peine maximale de 10 ans,

2° Si les deux se dénoncent entre eux, ils seront condamnés à une peine plus légère de 5 ans,

3° Si les deux refusent de dénoncer, la peine sera minime puisque de 6 mois, faute d'éléments au dossier. 

Cette situation peut ainsi être représentée au travers de ce tableau : 

On voit donc que, pour les condamner, la police a besoin qu'au moins l'un d'eux passe aux aveux ou témoigne contre l'autre.

Maintenant, en supposant que les suspects soient rationnels, ces derniers sont censés plus valoriser leur propre liberté par rapport à celle des autres.

Ainsi, ils ont chacun deux options : avouer ou se taire.

Si les deux restent silencieux, en raison de l'absence d'aveux, la police condamnera les deux à beaucoup moins de temps de prison : un scénario optimal d’un point de vue du groupe ou les hommes sortent finalement gagnant-gagnant.

Mais comment les suspects peuvent-ils être sûrs de ce que l'autre dit ou ne dit pas ?

Si le suspect numéro 1 parle, il sera libéré tandis que le suspect numéro 2 partira en prison pour 10 ans et inversement si le suspect numéro 2 parle et le suspect numéro 1 se tait.

Pendant ce temps, si les deux finissent par avouer, essayant de se sauver, ils purgeront chacun plus de temps que s’ils n’avaient rien dit : une situation sous-optimale où les deux hommes sont perdants-perdants.

Ainsi, le dilemme du prisonnier illustre les défis de la coopération lorsque des individus ou des groupes d’individus sont confrontés à des intérêts conflictuels.

Parfois, choisir son propre intérêt peut n’être d'aucune utilité si les autres ne pensent également qu'à leur propre intérêt.

Et d'un autre côté, penser à l’intérêt du groupe alors que les autres membres du groupe ne pensent qu'à leur propre intérêt pourrait également nous être préjudiciable.

Ainsi, ce dilemme du prisonnier nous donne une excellente illustration de ce à quoi sont confrontés les pays de l’OPEP et notamment l’Arabie Saoudite lorsqu’elle annonce sa volonté de réduire la production de pétrole.

En effet, chaque fois que l'Arabie saoudite et l'OPEP annoncent des coupures de production de l’or noir, dans la pratique, cela revient à subventionner les producteurs mondiaux à leurs dépens.

Il faut savoir que l'OPEP a été fondée à Bagdad, en Irak, avec la signature d'un accord en septembre 1960 par cinq pays, à savoir la République islamique d'Iran, l'Iraq, le Koweït, l'Arabie saoudite et le Venezuela.

Ce n’est que par la suite que ces pays ont ensuite été rejoints par le Qatar, l’Indonésie, la Libye, les Émirats arabes unis, l’Algérie, le Nigéria, l’Équateur, le Gabon, l’Angola, la Guinée équatoriale et plus récemment, le Congo.

Officieusement, d’autres pays comme la Russie, le troisième plus grand producteur de pétrole de la planète, ou encore le Mexique, ont adhérés de manière informelle à la fin de 2016, suite au boom du pétrole de schiste portant les États-Unis à la première place des plus grands producteurs de pétrole au monde, créant ainsi l’OPEP+.

De ce fait, l’OPEP qui, à l’origine, a été délibérément formé pour veiller au maintien des prix du pétrole au niveau désiré tout en conservant ses parts de marché ne se trouve plus dans la même position de force qu’auparavant.

En effet, l’Arabie saoudite et l'OPEP n'ont plus autant de pouvoir sur les prix qu’à l’époque.

En fait, pour qu’un cartel fonctionne encore faut-il que le groupe ait un pouvoir de fixation des prix quasi-total sur un marché et qu'ils coopèrent les uns avec les autres.

Mais l'Arabie saoudite et l'OPEP ont vu leur part de marché diminuer au cours des 50 dernières années. Leur influence n'est donc plus ce qu'elle était.

Des pays comme les États-Unis, le Mexique, le Brésil, la Russie et la Chine ont tous connu une augmentation spectaculaire de la production de pétrole au cours des 15/20 dernières années.

Et cela est devenu particulièrement évident après 2010.

Pour rappel, entre fin 2010 et mi-2014, le prix du pétrole brut Brent se trouvait au-dessus des 100 dollars le baril.

Une situation qui a très largement bénéficié au schiste américain qui a finalement été le grand gagnant.

En effet, l’objectif politique de l'OPEP s’est retourné contre lui.

On l’a vu, l’ambition de l’OPEP est de modérer l'offre d’or noir pour maintenir les prix artificiellement plus élevés.

Sauf que pour maintenir les prix plus élevés, il est nécessaire de réduire la production, c’est-à-dire diminuer l'offre par rapport à la demande.

Le problème ? 

Au fur et à mesure que l'on réduit la production, cela revient à ouvrir grand la porte à d'autres acteurs qui peuvent désormais venir s'emparer de parts de marché.

Par exemple, si la demande mondiale de pétrole est de 100 millions de barils par jour, et que l'Arabie saoudite et l'OPEP réduisent de 2 millions de barils par jour, cette demande supplémentaire par rapport à l'offre est censée faire monter les prix ce qui offre des opportunités d’arbitrages à d’autres pays producteurs pour, soit lâcher des réserves de pétrole qui peuvent désormais être vendues à des prix plus élevées, soit augmenter la production de 2 millions de barils et de gagner la part de marché précédemment détenue par l’OPEP.

Ainsi, chaque fois que l'Arabie saoudite et l'OPEP réduisaient leur production pour maintenir les prix plus élevés, cela revenait en fait à perdre des parts de marché, tout en subventionnant le schiste américain et le pétrole russe.

On le voit d’ailleurs, chaque fois que les pays du golfe s’amusent à jouer avec leur production de pétrole,les États-Unis, en profitent pour augmenter leur production et taper dans leurs réserves, accroissant d’autant leurs parts de marché.

C’est ainsi qu’après avoir réalisé qu'ils perdaient des parts de marchés, l'Arabie saoudite et l'OPEP ont décidé fin 2014 d'arrêter de couper leur production et, au lieu de cela, augmenter la production de pétrole pour essayer de noyer le schiste américain

innondant ainsi le monde d’or noir provoquant une surabondance mondiale de pétrole et faisant chuter les prix du brent chutent de 70 pour cent en l’espace de 18 mois.

Le problème, c’est que cette stratégie n’a pas eu les effets escomptés.

En fait, l'Arabie saoudite a perdu davantage de parts de marché pendant que les autres producteurs de pétrole ont continué d’accroître leur offre et le schiste américain s'est avéré beaucoup plus résistant à long terme.

Tout cela, sans compter les désagréments existants entre les membres mêmes de l’OPEP+.

Par exemple, il n'y a pas si longtemps, en 2020, l'Arabie saoudite et la Russie étaient en pleine guerre des prix ce qui avait contribué au krach du marché.

Cela permet ainsi de souligner à quel point il est important de comprendre les intérêts divergents et les politiques contradictoires entre les différents producteurs de pétrole.

Cela permet d’ailleurs de mettre en exergue qu’il est loufoque de croire que les BRICS auraient des intérêts communs et seraient alignés dans un objectif commun de réduction de leur dépendance à l’occident alors qu’en réalité, il existe une interdépendance mondiale tant des pays occidentaux vers les pays émergents que des pays émergents vers les pays occidentaux.

Les enjeux du marché du pétrole

Arrivé à ce stade et compte tenu de ce que l’on vient de voir, il est évident qu’il existe deux problèmes fondamentaux avec l'OPEP et l'OPEP+.

1° Premièrement, les revenus pétroliers constituent la majeure partie des revenus de plusieurs pays producteurs de pétrole. Ainsi, leurs budgets publics et leurs réserves en dollars dépendent de la production pétrolière.

2° Deuxièmement, la plupart de ces pays ont nationalisé leur production de pétrole. Par conséquent, l'État est dépendant de l’or noir et peut choisir arbitrairement des objectifs de production alors que, par exemple, aux États-Unis et au Canada, il n'y a pas de contrôle obligatoire de la production de pétrole.

Ainsi, dans ce contexte de cartel, les pays membres sont confrontés à un dilemme lorsqu'ils décident des niveaux de production d’or noir.

Chaque pays est incité à maximiser sa propre production pétrolière pour augmenter ses propres revenus et gagner de plus grandes parts de marché.

L'OPEP tente ainsi de résoudre ce dilemme par la coopération et la prise de décision collective.

L'organisation, sous la tutelle de l'Arabie saoudite, fixe ainsi des quotas de production pour les pays membres, visant à stabiliser les prix du pétrole et à maintenir un marché équilibré. En limitant la production, l'OPEP tente de cette manière à gérer les niveaux d'approvisionnement et à soutenir la hausse des prix du pétrole : une situation considérée comme gagnant-gagnant.

Cependant, la dynamique du dilemme du prisonnier entre en jeu lorsque chaque pays considère ses propres intérêts !

Par exemple, si un pays décide de dépasser son quota de production, comme ce fut le cas de la Russie en 2020, et d'augmenter sa production, il peut en bénéficier en capturant des plus grandes parts de marché et potentiellement d’accroître ses revenus aux dépens du groupe.

Mais si chaque pays triche, parce qu'ils ne savent pas si les autres respectent les réductions de production, cela peut inonder le marché de pétrole : une situation considérée comme perdant-perdant.

Ce phénomène crée donc des tensions au sein de l’organisation : chaque membre essayant de trouver un équilibre entre la maximisation de ses propres intérêts et le maintien de la stabilité du marché pétrolier.

Or, le fait de vouloir prioriser ses propres intérêts se produit plus fréquemment que ce que l’on pourrait croire.

L’Arabie saoudite et l'OPEP sont souvent confrontées à des difficultés pour faire respecter les quotas de production et empêcher les comportements de passager clandestin, certains pays dépassant leurs limites tandis que d'autres les respectent : certains finissent gagnants tandis que d’autres finissent perdants.

Cette situation s’est reproduite une énième fois en début de mois avec l’Arabie saoudite qui a annoncé de nouvelles réductions de l'approvisionnement en pétrole d'environ 1 million de barils par jour à compter de juillet et de les prolonger jusqu'en 2024.

Mais d'autres pays de l'OPEP+ ne voulaient pas réduire la production de pétrole puisqu'ils dépendent de ces revenus.

De la même manière, on peut voir qu’aujourd’hui, le cartel du pétrole courtise la Guyane pour que le pays devienne un nouveau membre, dans le but d'étendre l'influence du bloc alors que la Guyane est soudainement devenue le producteur de pétrole à la croissance la plus rapide au monde.

Or, le président du pays d'Amérique centrale a clairement laissé entendre ne pas vouloir adhérer, son but étant de maximiser sa production étant donné que la demande de pétrole devrait diminuer au cours des prochaines décennies.

Pendant ce temps, les exportations russes de pétrole brut ont augmenté alors qu'elles auraient dû baisser par rapport aux réductions promises de 2023.

En fait, selon Bloomberg, les flux de brut russe vers les marchés internationaux restent élevés et sont toujours supérieurs de plus de 1,4 million de barils par jour à ce qu'ils étaient à la fin de l'année dernière. 

D’ailleurs, cela n’est pas passé inaperçu puisque l'Arabie saoudite en a de plus en plus marre de la Russie qui continue de dépasser ses quotas d'approvisionnement, ce qui exerce une pression à la baisse sur le prix du pétrole et ronge la part de marché de l'Arabie saoudite en Asie.

Pourtant, en observant cette situation sous l'angle du dilemme du prisonnier, cela a du sens.

Les Russes ont tout intérêt à laisser les Saoudiens et l'OPEP réduire leur production, faisant ainsi grimper les prix sur les marchés afin d’en récolter les fruits au travers de marges plus élevées, permettant ainsi à Poutine de financer ses ambitions belliqueuses.

En outre, compte tenu de la décote de prix entre le pétrole russe oural et le pétrole brent d’environ 20 dollars, en raison des sanctions, la Russie a tout intérêt à produire plus afin d’augmenter les volumes de vente pour compenser des prix plus faibles.

Le problème c’est que cela choque frontalement avec les intérêts de l’OPEP et de l’Arabie Saoudite qui, à chaque coupe de pétrole que l'OPEP essaie de mettre en place, se retrouve dans une situation où elle subventionne les productions pétrolières américaines, russes et brésiliennes, qui ne cessent d’augmenter ces dernières années.

Il n’est donc pas étonnant que les tensions montent au sein de l'OPEP.

Ces pays ne veulent pas perdre des parts de marché et les revenus dont ils dépendent pour le budget de l'État.

Ainsi, le dilemme du prisonnier met en évidence les complexités rencontrées par l'OPEP dans le maintien de la coopération et la gestion de la production pétrolière.

Cela souligne le besoin de confiance, de communication efficace et d'un engagement collectif envers des objectifs communs pour éviter un scénario où tout le monde souffre de la baisse des prix du pétrole, sauf le consommateur évidemment.

Or, comme nous venons de le voir, dans le monde réel, tout est plus complexe que ce qu’on voudrait nous le faire croire et tous les pays ont des intérêts biens spécifiques et propres à chacun. 

Il y a donc fort à parier que les prix du pétrole poursuivent leur stabilisation voire, finissent par baisser, comme ce fut le cas il y a de cela 10 ans.

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