Si, traditionnellement, le rôle des banques centrales a été celui de “prêteur en dernier ressort” c’est-à-dire des entités vers lesquelles on peut se tourner pour obtenir des fonds en urgence, après avoir épuisé toutes les autres possibilités. Depuis la grande crise financière de 2008, les banques centrales, sont en quelques sortes devenues des emprunteurs de premier ressort.
Ainsi, après plus d’une décennie de Quantitative Easing et l’adoption de politiques monétaires accommodantes, depuis l’année dernière, ces deux grandes entités, ont choisi de mettre en place le processus inverse : le Quantitative Tightening qui permettrait de lutter contre l’inflation.
Or, les dernières données publiées semblent indiquer que l’inflation est en train de se modérer, comme nous l'avions vu dans un précédent article.
Pourquoi en réalité, les restrictions monétaires actuelles mises en place par les banques centrales ne pourront pas durer ? Pourquoi nous pourrions très probablement assister à un retour à des politiques moins restrictives dès cette année ?
Quantitative Easing et situation monétaire
Tous les jours nous utilisons la monnaie et pourtant le fonctionnement de notre système monétaire est encore profondément incompris. Pourtant, sans maîtriser ces concepts de base, il est impossible de bien appréhender le fonctionnement économique mondial.
Si le nombre de personnes consternées par la taille des bilans des banques centrales à cause des politiques d’assouplissement quantitatifs successifs, en réalité, il convient de rester conscient que ce sont en grande partie les exigences réglementaires post-crise des subprimes de 2008.
Dans le cadre de sa mission de “normalisation” de la politique monétaire, tant la FED que la BCE, ont progressivement annoncé en 2022 qu'elles mettraient fin aux achats nets d’obligations d’États afin de réduire la taille de leur bilan respectif.
Bien que souvent oublié par un grand nombre de personne, l’objectif premier du quantitative easing n’était non pas d’injecter de la monnaie au sein de l’économie, mais bel et bien de baisser davantage les taux d’intérêt afin de stimuler l’activité.
En effet, dans la mesure où il existe une relation inverse entre prix des obligations et taux d’intérêt:
- une augmentation des achats d'obligations provoquant une hausse de leur prix équivaut à une baisse des taux d'intérêt
- tandis qu’une diminution des achats d'obligations provoquant une baisse de leur prix équivaut à une hausse des taux d'intérêt.
Ainsi, lorsque la banque centrale achète des obligations, elle ne le fait pas directement auprès de l’État mais auprès d’institutions qui ont elles-mêmes acheté au préalable ces titres de dettes.
La partie "création monétaire" est ce qui rend nerveux un grand nombre de personnes.
Pourtant, il faut savoir que pour chaque dollar ou euro "créé", la banque centrale achète un équivalent à de la monnaie, ici des obligations d’États.
Autrement dit, il y a un échange d’une forme de monnaie, les obligations d’États, contre une autre forme de monnaie, les réserves de banques centrales.
Ici, deux précisions importantes sont nécessaire :
Des actifs monétaires similaires
Financièrement parlant, une obligation d’État et un billet de monnaie sont des actifs monétaires similaires dans la mesure où leur valeur reposent tous les deux dans la confiance accordée à un État.
Une multitude de monnaies
Il existe non pas une, deux ou trois formes de monnaie mais une multitude. Toutefois, on distingue 3 types de monnaies :
-Les pièces et les billets : on parle de monnaie fiduciaire. Cette monnaie est créée par la banque centrale.
-La monnaie électronique: elle se trouve dans nos comptes bancaires, on parle de monnaie scripturale. Cette monnaie est créée par les banques commerciales.
-Les réserves : on parle de monnaie de banque centrale. Cette monnaie est créée par la banque centrale au moment de racheter notamment de la dette d'État.
Ainsi, lorsqu’une banque centrale rachète une obligation d’État à une banque, l’obligation achetée se fait en réalité avec des réserves nouvellement créées pour l’occasion et elle les “enferme” entre guillemets, à l’intérieur de son bilan.
Exemple:
Imaginons un État qui est en déficit public, c’est-à-dire qu’il dépense plus d’argent que ce qu’il n’en gagne. Dans une telle situation, l'État en question va s’endetter sur les marchés en émettant une obligation à 10 ans de 100 euros par exemple.
Il est donc possible de représenter le bilan comptable de l’État avec, pour rappel, un actif qui est toujours égal au passif.
Au passif, c’est-à-dire au niveau des dettes, l’État émet une obligation de 100 euros et la contrepartie à l’actif est sa capacité théorique à lever de l’impôt afin de rembourser ses dettes.
Ici, on suppose que c’est une banque commerciale qui lui prête de l’argent. Ainsi, le bilan de la banque commerciale sera représenté de la sorte:
À l’actif apparaît l’obligation et au passif le dépôt d’une même valeur, ici 100 euros.
Maintenant, supposons que, grâce au quantitative easing, la banque centrale rachète cette obligation à la banque commerciale. Dans un tel cas de figure, l’obligation apparaît désormais au sein de l’actif du bilan comptable de la banque centrale qui crée des réserves, c’est-à-dire de la monnaie de banque centrale spécialement pour l’occasion.
Désormais, le bilan de la banque commerciale est modifié et à l’actif, au lieu des obligations qu’elle avait acheté à l’État puis revendu à la banque centrale, apparaissent les réserves.
Encore une fois, ici il y a un simple échange d’une forme de monnaie, les obligations d’États, contre une autre forme de monnaie, les réserves de banques centrales.
Cela ne fait aucune différence dans la capacité de la banque à créer du crédit.
L’un des déterminants de l’expansion accrue de 2020 réside dans les déficits massifs des différents gouvernements de la planète qui ont stimulé la demande alors même que l’offre était réduite voire bloquée, générant des goulots d'étranglement et donc des hausses de prix massives.
Que la banque détienne des obligations d’État ou des réserves auprès de la banque centrale n'a strictement aucune importance quant à sa prise de décision de prêter davantage ou pas.
L’une des seules différences réside dans le fait qu’en rachetant les obligations dans le cadre du QE, la banque centrale élimine le risque de taux d'intérêt du marché.
En effet, il existe une relation inverse entre les taux d’intérêt et le prix d’une obligation. Aussi, si les taux venaient à monter, comme cela est le cas actuellement, alors les banques en possession d’obligations d’États verraient la valeur de leur investissement chuter.
Ainsi, en achetant les obligations, la banque centrale endosse donc le risque de taux et cela est effectivement particulièrement néfaste pour l’économie.
Le risque n’est donc pas tant celui sur lequel la quasi-totalité des néophytes se focalisent, c’est-à-dire celui de la création monétaire, mais bel est de bien de baisse artificielle du risque.
Quantitative Tightening et future situation monétaire
Aujourd’hui, nous nous trouvons donc dans une situation monétaire particulière dans la mesure où elle est caractérisée par l’inverse du QE : le QT, pour Quantitative Tightening.
Ce resserrement quantitatif vise donc à diminuer le bilan des banques centrales et plus précisément d’un montant de 95 milliards de dollars par mois dans le cas de la Réserve Fédérale Américaine.
Aujourd’hui, le problème qui se pose c’est que, si la FED souhaitait faire retomber le montant de son bilan à la même valeur que celle en vigueur avant la crise financière à environ 1.000 milliards de dollars, il faudrait patienter plus de 6 ans et demie avec un rythme de réduction de 95 milliards de dollars par mois.
À première vue, ramener le bilan aux niveaux d’avant crise des subprimes est donc impossible à moins que la contraction ne dépasse les 300 milliards de dollars par mois afin de rester sur un délai de contraction raisonnable d’environ 2 ans.
Le fait est que même si la FED voulait le faire, en fait, elle ne pourrait pas.
En effet, si l’on se focalise sur la composition du bilan de la FED et notamment sur la partie du passif, quatre grandes composantes en ressortent :
La monnaie physique
La monnaie fiduciaire, représente pas moins de 2.300 milliards de dollars.
Avant la crise des subprimes, les pièces et billets en circulation avaient une valeur supérieure à 800 milliards de dollars et représentaient donc 90 pour cent du bilan de la FED qui était valorisé à l’époque à moins de 900 milliards de dollars.
La diminution de la quantité de pièces et de billets étant extrêmement complexe et n’étant en tout cas pas visée par le resserrement de la politique monétaire, on peut d’ores et déjà conclure que la valeur plancher du bilan de la FED est de minimum 2.300 milliards de dollars !
Le compte du trésor
Il s’agit en quelque sorte du compte bancaire du gouvernement qui est conservé auprès de la banque centrale.
Actuellement, le solde est d’environ 400 milliards de dollars et il n'est clairement pas sous le contrôle de la Banque Centrale puisqu’elle ne fait que lui fournir un compte bancaire spécial.
De plus, le solde n'est pas affecté par le resserrement de la politique monétaire : sa valeur peut donc aussi bien croître que diminuer.
Les réserves bancaires
La monnaie de banque centrale que les banques commerciales et d'autres institutions possèdent auprès de la Réserve Fédérale ou de la BCE, pour un montant 3.000 milliards de dollars.
On l’a vu précédemment, lorsque la banque centrale met en place le Quantitative Easing, c’est ce compte qui est crédité en l’échange d’obligations d’État.
Ce sont donc précisément ces réserves sur lesquelles la banque centrale exerce un contrôle et qui doivent diminuer au cours du Quantitative Tightening.
Les opérations Reverse Repo
Les opérations de Reverse Repo, pour Reverse Repurchase Agreement. On parle de mise en pension en français et c’est la situation durant laquelle la Banque Centrale prête des liquidités aux banques sur le très court-terme. Viennent ensuite les dépôts étrangers ou encore le capital de la banque centrale pour un montant total de 2.800 milliards de dollars dont près de 2.300 milliards rien que pour les opérations de Reverse Repo.
Ainsi, ces quatre composantes sont les principaux éléments constitutifs du passif du bilan de la FED et on peut voir comment il a évolué dans le temps depuis la crise de 2007.
Les limites du QT et le retour de la “planche à billets”
Une donnée à prendre en compte c’est que jusque durant la crise financière de 2008, la FED ne payait pas d'intérêts sur les réserves excédentaires des banques commerciales. En conséquence, les banques commerciales avaient tout intérêt à investir ou utiliser cet argent autrement plutôt que de le faire dormir.
C’est, entre autres, ce qui a contribué à ce que les institutions financières soient constamment à la recherche d’actifs toujours plus rentables mais aussi toujours plus risqués.
On voit d’ailleurs à quel point ces prêts interbancaires se sont développés à partir des années 90, jusqu’à finalement disparaître presque totalement au moment où le marché interbancaire s’est grippé, les liquidités s'étant asséchées, obligeant les banques à se tourner vers la banque centrale pour éviter un effondrement du système monétaire et financier.
Or, le mode de financement s’est tout simplement métamorphosé et, désormais, ce sont les réserves qui jouent ce rôle, réserves créées par la Banque Centrale.
Il faut savoir qu’il y a une limite dans le nombre de dettes d’États puisqu’il est nécessaire que ces derniers s’endettent constamment pour que les banques puisses y augmenter leur exposition et ce, d’autant plus, que les dettes arrivant à échéances doivent être renouvelées pour que les banques maintiennent stable leur exposition.
Pour y remédier et ainsi satisfaire les exigences des nouvelles réglementation, une solution se trouvait dans la création de réserves de la part de la Banque Centrale puisque, les réserves sont une forme de monnaie et les dettes d’État le sont également !
La contrepartie c’est que, désormais, ces réserves sont devenues indispensables et certains effets négatifs ont pu être observés lors de la crise Repo de septembre 2019, après que la FED avait démarré son resserrement monétaire en 2017, faisant exploser les taux Repo :
Une situation complexe
Ainsi, aujourd’hui, si la FED se trouve dans une situation plus que complexe avec deux grandes composantes que sont les réserves et les Reverses Repo.
On peut donc dire que l’énorme bilan des Banques Centrale a surtout permis de maintenir la stabilité du système financier en raison du changement de la réglementation et de la composition du système bancaire.
Ces facteurs signifient que la contraction totale possible du bilan de la FED est particulièrement limitée et pourrait très probablement prendre fin dès cette année 2023
Le rythme de contraction ralentira probablement plus tôt que prévu et avant le terme auquel la plupart des personnes s’attendent.
Au-delà du Quantitative Easing, la vraie question à se poser est donc : est-ce que l’accumulation de réglementation suite à la crise des subprimes a réellement permis une réduction des risques au sein des marchés ?
Il est fort probable que, plus qu’une réduction, nous ayons tout simplement assisté à un déplacement du risque.