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Actuellement, il y a beaucoup de battage médiatique autour de la dédollarisation et de l’instauration d’une supposée monnaie BRICS.

Cette initiative pourrait ainsi remettre en question la prédominance de l'Occident sur ce groupe majeur de nations, ce qui est une source d'inquiétude chez de nombreuses personnes, notamment compte tenu des situations de nature belliqueuse qui se produisent actuellement.

Qu’en est-il concrètement ?

Cette alliance des BRICS est-elle réellement capable d’imposer une telle monnaie ou au contraire ce projet, s’il existe, est-il voué à l’échec  ?

La dépendance des BRICS à l’occident

Quoi qu’en disent ses partisans, l’alliance des BRICS est un regroupement de pays avec d’un côté, un moteur de croissance en plein affaiblissement avec la Chine, une poule aux œufs d'or qui n'a pour le moment jamais pondu d'œufs bien qu’un certain potentiel puisse être perceptible du côté de l’Inde, et trois producteurs de matières premières malades en Russie, au Brésil et en Afrique du Sud.

Évidemment, il n'est pas impossible qu'une monnaie BRICS soit mise en place. Mais cela exigerait des sacrifices tellement douloureux que ces pays ne pourraient pas se permettre d’endurer.

De manière générale, il convient de garder à l'esprit qu'il s'agit d'un sujet macroéconomique particulièrement complexe et plusieurs vidéos ont déjà traité ce thème très intéressant.

Le problème, c’est que certains raccourcis sont souvent pris, laissant ainsi libre court à l’idéologie au détriment de la logique économique.

S’il est fréquent d’entendre dire que, généralement un pays qui a un excédent de compte courant, c'est-à-dire qui exporte plus de biens et d'épargne qu'il n'en importe, est une "bonne" chose et, qu’à l’inverse, un déficit, qui importe plus de biens et d'épargne qu'il n'en exporte, est "mauvais", en réalité, rien n’est tout noir, rien n’est tout blanc, surtout au sein d’économises modialisée et interconnectées comme celles dans lesquelles nous vivons aujourd’hui.

Il faut savoir que pour qu’un pays enregistre une balance courante excédentaire, c’est-à-dire qu’elle exporte plus que ce qu’elle n’importe, c’est qu’il y a nécessairement des pays qui enregistrent une balance courante déficitaire, c’est-à-dire qui importent plus que ce qu’ils n’exportent.

Ainsi, si l’ensemble des pays des BRICS affichent des excédents de compte courant, c’est parce que les pays occidentaux, et notamment les États-Unis, se trouvent en situation de déficits de la balance courante.

Il s’agit donc d’un acte d'équilibrage : un excédent quelque part est un déficit ailleurs et vice versa. 

Et actuellement, presque tous les BRICS affichent d'énormes excédents de compte courant tandis que les États-Unis ou le Royaume-Uni affichent d'importants déficits du compte courant. 

déficits des comptes

Or, ces excédents indiquent également que les BRICS ont des économies déséquilibrées, dans la mesure où ils ne consomment pas la totalité de ce qu'ils produisent et doivent donc exporter le reste à l'étranger.

En d'autres termes, ces excédents courants nous montrent que les BRICS ont une demande intérieure faible et dépendent des économies occidentales pour importer leur surabondance de biens et d'épargne pour assurer leur croissance.

Ces excédents chroniques des BRICS indiquent ainsi deux choses :

1° Premièrement, les BRICS ont une très faible capacité de consommation en raison des faibles revenus des ménages.

Pour vérifier cela, il suffit de se focaliser sur les dépenses de consommation finale des ménages.

Il y a un énorme écart entre les dépenses de consommation au sein des BRICS et au sein de l’Union Européenne et d’autant plus du côté des États-Unis.

Rien que les dépenses de consommation aux États-Unis s'élèvent à près de 43.000 dollars par tête soit, le double des dépenses finales de consommation de l’ensemble des BRICS réunis. 

Les BRICS n'ont tout simplement pas assez de pouvoir d'achat pour absorber la totalité de ce qu'ils produisent et dépendent donc des exportations.

Ainsi, la première leçon à bien intérioriser c’est que, s'il n'y avait pas les déficits occidentaux, ces économies se noieraient dans la déflation et le chômage, car tous leurs biens non consommés resteraient inutilisés faisant pression à la baisser sur la croissance et les prix. Pour le dire clairement : sans les importations occidentales, la croissance de ces pays serait quasi nulle, voire négative et leurs réserves de change seraient presque vides.

2. Deuxièmement, la plupart des pays des BRICS ont des taux d'épargne interne particulièrement élevés par rapport à leur PIB, de l’ordre de 45 pour cent pour la Chine et 30 pour cent pour la Russie ainsi que l’Inde contre seulement 18 pour cent du côté des États-Unis par exemple.

Or, les ménages ne peuvent faire que deux choses avec un revenu : le consommer ou l’épargner.

De ce fait, lorsqu’il y a plus d'épargne, cela signifie que cet excédent doit être exporté pour plus de rendement à l'étranger. En fait, bon nombre des BRICS et des économies émergentes dépendent de cette épargne élevée pour alimenter la croissance de leurs exportations.

En effet, la croissance de l'épargne fournit le capital nécessaire afin de stimuler l'investissement, qui à son tour stimule les gains de productivité et donc les exportations.

C'est ce que la Chine, la Russie, le Brésil et même le Japon ont fait dans une certaine mesure. Ainsi, l'épargne élevée se transforme en moins de consommation intérieure, ce qui crée un excédent courant plus important. Et plus de réserves dans les caisses de l'État.

Et que font-ils de ces réserves en dollars ? Ils achètent de la dette publique américaine, considérée comme sans risque, afin d’obtenir un rendement sur leur épargne et les utilisent également pour maintenir leurs devises faibles par rapport au dollar, veillant ainsi à ce que la croissance des exportations se poursuive.

Le fait est que compte tenu de ce que l’on vient de voir, historiquement, il s'est également avéré très difficile de rééquilibrer une économie à épargne élevée et exportatrice vers une économie axée sur la demande intérieure et le cas le plus illustratif est sans aucun doute celui du Japon.

Le Japon et “l’impossibilité” de modifier un modèle économique

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon jouait clairement le rôle que la Chine joue aujourd’hui. En effet, à l’époque, le pays du soleil levant enregistrait des excédents courants chroniquement importants en se concentrant sur la demande mondiale plutôt que sur la consommation intérieure.

À la fin des années 1980, le Japon était une économie axée sur les exportations, dépassant les 14 pour cent du PIB en 1984. 

Le problème, c’est qu’en 1985, sons signés les accords du plaza visant à dévaluer le dollar américain par rapport au yen japonais et au mark allemand dans le but de rééquilibrer les échanges commerciaux et lutter contre les achat compulsif d’actifs américains de la part des japonais.

En effet, dans une telle situation, un dollar plus faible permettait de rendre la production américaine relativement plus compétitive et un yen plus fort signifiait une augmentation des importations au Japon. 

Ainsi, le dollar s’est effondré de 40 % par rapport à la monnaie japonaise entre 1985 et 1990 et donc, le yen s’est apprécié d’autant.

USD contre Yen

Cette flambée du yen a eu un impact considérable sur l'économie japonaise. 

Pour commencer, cela a porté préjudice aux exportations nippones, qui se sont mises à chuter la même année.

Cela a également entraîné une augmentation de la dette des ménages puisqu’en seulement 5 ans, celle-ci était passée d’environ 50 pour cent du PIB à près de 70 pour cent étant donné qu’un yen plus fort ne faisait qu’accroître les importations du pays.

Cerise sur le gâteau, ces accords marquèrent également le début du gonflement de la plus grande bulle financière et économique au japon, condamnant le pays à la déflation, la stagnation économique et l’explosion de la dette.

Et c'est précisément là que les choses deviennent intéressantes !

En 1986, voyant les risques potentiels d’une appréciation du yen, le Premier ministre japonais a essayé de faire passer l'économie japonaise d'une économie axée sur les exportations à une économie axée sur la demande interne au travers de la publication du rapport Maekawa du nom de l'ancien directeur de la Banque du Japon.

Pour ce faire, l’économie devait favoriser les dépenses de consommation au détriment de l'épargne et, un yen plus fort devrait stimuler les importations augmentant ainsi le niveau de vie des Japonais. 

C'était en tout cas une tentative de la part du Japon de mettre en place un rééquilibrage économique.

Trente ans plus tard, bien que le Japon soit aujourd’hui une économie développée, le miracle japonais n’est plus qu’un lointain souvenir, le pays est en constante stagnation et continue d’enregistrer des excédents courants particulièrement élevés, faisant de lui, le principal créancier des États-Unis.

L’exemple du Japon est particulièrement intéressant dans la mesure où il fait figure d’étude de cas pour la Chine ou l’un des pays des BRICS, s’ils venaient à envisager d’instaurer leur monnaie en tant que monnaie de réserve mondiale puisqu’ils n’auraient également pas d’autre choix que rééquilibrer leurs économies.

Les similitudes entre les deux nations sont d’ailleurs flagrantes, telles que la faiblesse de la consommation intérieure, l'érosion démographique, la dette excessive et les mauvais investissements. 

Monnaie BRICS : Vouée à l’échec ?!

Alors que les BRICS seraient sur le point de défier le dollar, à en croire certains démagogues, en réalité, deux gros problèmes se poseraient avec une telle monnaie.

1° Premièrement, dans la mesure où les BRICS enregistrent des excédents de compte courant, cela signifie qu'ils doivent exporter leur excédent à l'étranger vers l'Occident, comme nous venons de le voir.

La raison est relativement simple : on l’a vu, si un pays enregistre un excédent c’est qu’un autre enregistre un déficit. Or, si les BRICS veulent se défaire du dollar, quel pays acceptera d’enregistrer des déficits courants aussi massifs que les États-Unis afin d’acheter les marchandises des BRICS qui ont besoin d’enregistrer d’énormes excédents courants pour croître.

L’une des solutions pourrait être que la Chine accepte d’enregistrer d'énormes déficits afin d’absorber les excédents des pays de l’alliances des BRICS. Or, en l’état actuel des choses, il semble peu probable que la Chine accepte de rééquilibrer sa propre économie afin de subventionner les exportations des BRICS.

C’est en tout cas ce que laissent penser les données puisque, l'excédent du compte courant de l’empire du milieu a atteint, en février 2023, un niveau qui n’avait plus été touché sur les 14 dernières années,

tout comme l'excédent commercial manufacturier de la Chine qui dépasse les 10 pour cent du PIB.

On voit d’ailleurs à quel point s’il est fréquent de dire que la croissance mondiale repose sur la Chine qui joue le rôle d’usine du monde, en réalité, ce sont surtout les États-Unis qui importent et consomment énormément autour de la planète.

Le déficit du compte courant américain, c’est-à-dire ce qu’il importe, est supérieur à celui des autres grands pays déficitaires réunis.

Déficits du compte courant

Ce n’est d’ailleurs pas nouveau puisque même avant le Covid-19, le déficit de la balance courante des États-Unis était plus élevée que les 19 pays réunis enregistrant les plus gros déficits après les US.

Cela signifie que les États-Unis à eux seuls créent une demande de biens étrangers à hauteur de près de 1.000 milliards de dollars. Aucun pays n'est capable d’en faire autant …

Si les États-Unis décidaient, du jour au lendemain, d’équilibrer leur budget et de réduire les déficits, les économies des BRICS ressentiraient une baisse considérable de leur croissance et de la liquidité au niveau international.

Évidemment, il n’y a rien de glorieux à cela, dans la mesure où cette consommation excessive se fait sur le dos d’un accroissement de l'endettement.

Toujours est-il que ce sont justement ces déficits américains qui permettent de fournir des quantités faramineuses de dollars américains autour de la planète faisant du billet vert la monnaie de réserve mondiale par excellence, comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer dans une précédente vidéo.

En effet, lorsque les États-Unis importent plus qu'ils n'exportent, ils achètent leurs marchandises en dollars. Les vendeurs de marchandises reçoivent donc des dollars qu’ils réutilisent pour les investir dans l’économie et des actifs américains. 

Or, la Chine, qui est la plus grande nation excédentaire au monde, n'exporte pas de renminbis en termes nets dans la mesure où le pays exporte plus que ce qu’il n’importe.

Ainsi, si les BRICS veulent éliminer les États-Unis et le dollar, ces derniers devront accepter de payer le prix cher en stoppant leurs excédent de leur balance courante alors même que leur “miracle économique” se base précisément sur le position d’exportateurs au niveau mondial.

2° Deuxièmement, une monnaie BRICS suppose que toutes les économies soient rattachées à une monnaie et à sa politique monétaire.

Avec un tel système, il doit y avoir une économie ou un système d'ancrage afin de maintenir les taux d'intérêt et la liquidité. 

Or, historiquement, lorsque des pays veulent former un bloc monétaire, ils se rattachent au pays le plus puissant économiquement avec de faibles taux d'inflation.

Par exemple, lorsque l'euro et la Banque centrale européenne ont été créés, c’est la Bundesbank allemande  qui a été prise pour exemple étant donné que l'Allemagne était la locomotive Européenne. 

Dans la pratique, cela signifiait que les membres de la zone euro utilisant l'euro devaient respecter les politiques définies par la BCE ce qui a causé de graves problèmes entre l'Allemagne et le reste de la zone euro, mettant en exergue la fragmentation croissante entre les pays du nord et les pays du sud.

L’exemple le plus parlant est sans aucun doute celui de la Grèce lorsque le pays se trouvait en difficulté entre 2010-2012 et qui était littéralement à la merci de la BCE et de l'Allemagne, qui ont accordé des prêts en échange de mesures d'austérité forcées. 

Cela signifiait que la Grèce et d'autres pays européens endettés ont été contraints de subir de profondes récessions. Et la poursuite de l'austérité a aggravé la situation, même si l'Allemagne et d'autres continuaient de croître.

Il est donc particulièrement loufoque, pour ne pas dire absurde, d’entendre les détracteurs de l’euro devenir défenseurs d’une monnaie BRICS alors même qu’ils pointent pourtant si justement du doigt les problèmes d’une monnaie commune et d’une politique monétaire unique.

Ainsi, si dans un futur plus qu’hypothétique, une monnaie BRICS était créée, elle serait très probablement basée sur le système monétaire chinois. 

Et dans une telle situation, que se passerait-il si la Chine entrait dans un cycle de surchauffe et cherchait à resserrer sa politique monétaire alors même que le Brésil entre en récession ?

Alors que le Brésil voudrait des taux d'intérêt plus bas afin de stimuler son économie, la Chine voudrait des taux plus élevés afin de refroidir son économie ce qui provoquerait inévitablement des conflits entre les pays de l’alliance.

Ainsi, dans la mesure où les pays des BRICS sont extrêmement différents, il est très peu probable que cette monnaie voit le jour sur le court et moyen terme.

Si les concepts de balance des paiements entre les États-Unis et les BRICS ne semblent pas retenir beaucoup l'attention, il est pourtant essentiel de comprendre comment fonctionnent ces mécanismes, sans quoi, tout idée de fin de l’hégémonie du dollar n’est que pure démagogie et idéologie.