fbpx

L'économie chinoise se trouve dans une impasse ! Et cela ne devrait pas être une surprise.

La consommation chinoise est en berne, la dette globale est la plus élevée au monde derrière les États-Unis et ne cesse de croître, les risques déflationnistes commencent à se faire sentir, l'investissement des entreprises privées s'érode, le chômage des jeunes atteint des niveaux historiques et comme si cela ne suffisait pas, la croissance chinoise patine et inquiète.

Il est clair que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes et, tandis que de nombreux experts ont vanté la “réouverture” comme une aubaine pour l'économie mondiale, ils ne regardaient clairement pas les graves déséquilibres structurels de la Chine.

Sauf que, désormais, il existe un gros problème : c'est le risque de tomber dans une récession de bilan. 

Et à cause de cette récession de bilan, les récentes baisses de taux d'intérêt en Chine, afin de relancer l’économie, pourraient ne pas fonctionner.

Au lieu de cela, cela ne fera probablement qu'amplifier les déséquilibres actuels.

Le Japon a dû faire face à ce même problème au début des années 1990, tout comme les pays occidentaux après 2008. 

La preuve en est, l'assouplissement monétaire qui s’est est suivi, tant du côté nippon que du côté américain et européen, s'est avéré assez inutile pour la croissance et n’a fait que créer des bulles d’actifs.

Désormais, c’est la Chine qui semble suivre cette voie.

Qu’en est-il concrètement ? Qu'est-ce qu'une récession de bilan exactement ? Et quel futur attend la Chine dans les années à venir ?

La récession de bilan

En termes simples, une récession de bilan fait référence à une situation économique dans laquelle le principal problème affectant une économie est le fardeau excessif de la dette des ménages, des entreprises ou des deux.

C'est un concept popularisé par l'économiste Richard Koo et il est lié au concept de déflation de la dette décrit par l'économiste Irving Fisher. 

Cette situation s’observe particulièrement dans un contexte économique vis-à-vis duquel sont confrontés les pays coincés dans un phénomène de désendettement, situation durant laquelle les agents procèdent au remboursement de la dette et donc la demande de crédit baisse.

Ce phénomène se caractérise par un changement de comportement du secteur privé vers la thésaurisation, c'est-à-dire le remboursement de la dette plutôt que vers la dépense ou l’investissement, ce qui ralentit l'économie par une réduction de la consommation des ménages ou de l'investissement des entreprises.

À ce stade, l'attention n’est plus tant portée vers les facteurs traditionnels, tels que les taux d'intérêt ou la politique budgétaire du gouvernement mais vers les bilans des particuliers et des entreprises, c’est-à-dire le secteur privé.

En règle générale, ces bilans sont grevés de niveaux d'endettement élevés, résultant souvent d'une bulle spéculative sur l'immobilier ou d'autres actifs qui ont éclaté, et les consommateurs se détournent du crédit.

Le terme bilan découle d'une équation comptable selon laquelle, et comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer à maintes reprises, l’actif et toujours, en tout temps et en tout lieu, égal au passif, c’est-à-dire la dette à laquelle s'ajoutent les capitaux propres.

Dans un tel cas de figure, si le prix des actifs tombe en dessous de la valeur de la dette contractée pour les acheter, les capitaux propres doivent être négatifs, ce qui signifie que le consommateur ou l'entreprise devient insolvable. 

Autrement dit, jusqu'à ce qu'elle retrouve sa solvabilité, l'entité se concentrera sur le remboursement de la dette ou elle risquera de faire faillite.

On comprend bien que pendant une récession de bilan, la principale préoccupation des ménages et des entreprises est d’assainir leurs bilans en remboursant la dette et en accumulant du cash plutôt qu'en dépensant ou en investissant leur argent.

Cela se traduit donc par une consommation moindre, une diminution des investissements et un manque de production et de demande globale au sein de  l'économie. 

En conséquence, la croissance économique devient lente voire négative, et le chômage se met à augmenter.

Arrivé à ce stade, cette conjoncture semble certainement familière à un grand nombre d’entre vous !

Et pour cause, la politique monétaire, qui consiste souvent à abaisser les taux d'intérêt pour stimuler le crédit et les dépenses, devient moins efficace dans cette situation parce que l'accent est mis sur la réduction de la dette plutôt que sur la concession de nouveaux crédits.

Cela signifie que si les individus se désendettent, c’est-à-dire qu’ils remboursent leurs dettes, et évitent de nouveaux prêts, les baisses de taux perdent de leur sens.

C’est notamment ce phénomène, que l’on a pu observer aux États-Unis, lors de la crise des subprimes :

Pour autant, on pourrait penser que le fait de rembourser la dette est une bonne chose et cela est vrai, du moins, en règle générale.

Le problème ici, c'est quand tout le monde le fait en même temps.

C'est ce qu'on appelle le sophisme de composition, c'est-à-dire l'erreur de supposer que ce qui est vrai d'un membre d'un groupe est vrai pour le groupe dans son ensemble, ce qui revient à attribuer les propriétés des parties d'un ensemble à l'ensemble lui-même.

Pour mieux comprendre, il s’agit de considérer que, parce que les plumes remplissant un sac de plumes sont légères, alors le sac est léger, les personnes de telle nationalité sont gentils, donc toutes les personnes composant ce pays sont gentils, ou encore, les joueurs de cette équipe sont les meilleurs du championnat, donc il s’agit nécessairement de la meilleure équipe du championnat.

Il en va de même pour la dette. Rembourser sa dette car l’on se trouve dans une situation d’insolvabilité pouvant nous faire tomber en faillite ne signifie pas que rembourser sa dette est forcément et nécessairement une bonne chose.

De ce fait, au fur et à mesure que les individus diminuent leur consommation et leurs investissements pour rembourser leurs dettes, la production et la demande globale dans l'économie chute, ce qui se traduit par une période prolongée d'activité économique morose, de déflation et de faibles taux de croissance.

Pendant ce temps, la faible demande de nouveaux prêts fait encore plus baisser les taux d'intérêt et ainsi de suite.

La Chine entre dans une nouvelle ère

Ainsi, en raison de ce contexte, les baisses de taux d'intérêt en Chine ne feront probablement qu'aggraver ce dilemme.

Selon la théorie économique et monétaire, lorsque la croissance est faible, la baisse des taux d'intérêt devrait stimuler la demande.

L'idée est que les acteurs vont profiter de la baisse des taux d'intérêt pour consommer et investir davantage.

Mais dans le monde réel, cela ne fonctionne pas comme ça dans de nombreux cas : il suffit de regarder le cas du Japon et de l'Europe.

En fait, la réduction des taux d'intérêt aggravera probablement les déséquilibres et il y a deux grandes raisons à cela : 

1° Premièrement, l’épargne brute chinoise est particulièrement élevée par rapport à son Produit Intérieur Brut, puisque de 45 pour cent. 

Cela signifie que les Chinois épargnent bien plus qu'ils ne dépensent.

La raison est relativement simple et réside dans le modèle économique chinoise qui met l'accent sur les exportations et les entreprises publiques :

La demande des consommateurs reste réprimée, de sorte qu'il existe un important réservoir d'épargne pour alimenter les investissements.

Et bien que cela ait fonctionné lorsque la Chine était largement sous-investie au début des années 2000, elle a maintenant atteint la loi des rendements décroissants. 

Cela signifie qu'une grande partie de l'investissement est non rentable et inutile.

C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que la plupart des économistes qui pensaient que le PIB de la Chine dépasserait celui des États-Unis au cours de la prochaine ont en réalité assez mal compris le modèle de croissance de la Chine et la manière dont cette croissance est générée. 

Ces derniers l’ont mal compris, de la même manière qu’ils l’avaient mal compris lorsqu'ils prédisaient dans les années 60 que le PIB de l’union soviétique dépasserait le PIB américain au cours des deux décennies suivantes, ou lorsqu'ils effectuaient ce même type de projection avec le Japon au cours des années 80.

Leurs estimations ne prenaient pas en compte le fait qu’à mesure que les niveaux d'investissement restaient supérieurs à ce que l'économie pouvait absorber de manière productive, une part de plus en plus grande de la croissance ne pouvait être créée que par la partie de l'économie qui fonctionnait sous des contraintes budgétaires souples.

Cette “croissance”, entre guillemets, qui n'était en réalité que de l'activité et non de la croissance à proprement parler, dans le sens de valeur ajoutée, ne pouvait exister que tant que le gouvernement et le système bancaire étaient disposés et capables de tolérer une augmentation insoutenable de la dette associée à cette activité.

Cela signifie que dès que les niveaux d'endettement deviendraient trop élevés ou une fois que les décideurs politiques décideraient qu'ils devaient s'attaquer à la dette avant qu'elle ne devienne trop élevée et insoutenable, nous verrions une grande partie de la croissance s'inverser.

C'est pourquoi non seulement la croissance se mettrait à ralentir, mais, en plus, elle se mettrait à ralentir beaucoup plus rapidement qu'on ne l'aurait cru possible. 

Non seulement revenir à des taux de croissance durables serait quasiment mission impossible, mais, en plus, c’est la stagnation qui guetterait le pays en question.

Cela explique d’ailleurs pourquoi, même si de plus en plus d'économistes s'accordent à dire que la future croissance du PIB chinois sera bien inférieure aux attentes et à leurs prédictions d'antan, ils ne comprennent toujours pas pourquoi. 

Ils pensent que la croissance ralentit en raison de changements apportés à des politiques autrefois bonnes ou à cause de problèmes récemment apparus mais, en réalité, tout cela était prévisible compte tenu du modèle de croissance adopté durant de nombreuses années. 

Si tel n’était pas le cas, la dette consacrée au financement des investissements ne serait jamais devenue un problème aussi énorme puisque la croissance de la dette aurait été plus que compensée par une croissance du PIB. 

Le ratio d’endettement total de la Chine se trouve d’ailleurs à un niveau record, se rapprochant des 300 pour cent du PIB.

Pour mettre cela en perspective, si la croissance économique et les rendements augmentaient en tandem, le ratio de la dette sur PIB n'augmenterait pas.

Cela nous montre que l'économie chinoise est déséquilibrée et doit plutôt se concentrer sur sa propre économie domestique.

2° Deuxièmement, les banques chinoises, déjà sous pression, ont vu leurs marges nettes d'intérêt, ce que l’on appelle la “NIM”, acronyme anglais de “Net Interest Margin”, tomber à des niveaux très bas.

Actuellement, cet indicateur se trouve l’un de ses niveaux les plus bas.

Or, cet indicateur est d’une importance capitale dans la mesure où il reflète la différence entre les revenus d’un prêt et les coûts de ce même prêt.

Le fait est que les banques chinoises ont déjà constaté une augmentation des prêts non performants et Moody's s'attend à ce que ces perspectives pessimistes perdurent.

En ce sens, si en théorie, des taux de dépôt plus bas devraient contribuer à ce que les marges des banques augmentent, dans un environnement caractérisé par une dette toxique croissante et des investissements non rentables, cela peut aggraver les choses.

Cette situation met en exergue quelque chose de plus fondamentalement préoccupant : un parallèle de plus en plus important avec le Japon des années 1990.

Alors que les épargnants sont pénalisés par des rendements plus faibles, leur appétit de dépenser diminue, comme cela s'est produit au Japon.

Cela se reflète notamment au travers de la confiance des ménages qui s'est effondrée l'année dernière au milieu des fermetures dues au Covid-19 et la réouverture soudaine et catastrophique de Xi Jinping en décembre a non seulement déclenché une vague d'infection, mais elle n'a pas fait grand-chose pour raviver ce sentiment de confiance.

Dans ce contexte, la baisse des rendements de l'épargne risque d'avoir l'effet inverse recherché par les décideurs, soit, une baisse de la demande de crédit. 

Le danger est que les ménages pensent qu'ils doivent maintenant augmenter leur épargne pour avoir le coussin dont ils ont besoin pour les dépenses futures, y compris la santé et la retraite. 

Ce type de concentration sur la constitution d'actifs plutôt que sur les dépenses est précisément ce que l’on appelle récession de bilan, c’est-à-dire la volonté d'épargner/rembourser la dette et la réticence à emprunter/dépenser.

Il est important de noter que la Chine n'a pas les filets de sécurité sociale dont disposent certains pays occidentaux. Ainsi, les individus doivent épargner davantage, et donc moins consommer, pour se préparer à la retraite et aux frais de santé plus tard dans la vie.

Et comme il y a un nombre croissant de Chinois qui prendront leur retraite dans les décennies à venir, cette tendance ne fera qu'augmenter.

La Chine doit donc trouver un moyen de faire deux choses : raviver la confiance des consommateurs et stimuler la demande intérieure.

Ce défi est de taille dans la mesure où les autorités chinoises ont également fait pression pour une baisse des taux sur les prêts immobiliers dans le but de relancer le secteur immobilier, bien que les transactions ainsi que les prix continuent de chuter.

Tout cela, dans un contexte où les promoteurs ne veulent pas investir et les consommateurs ne veulent pas acheter, notamment après la faillite d'Evergrande, l'un des groupes les plus importants et les plus endettés du pays.

Le secteur immobilier chinois commence maintenant à ressembler quelque peu au Japon des années 1990.

La chute du Japon dans la stagnation comportait plusieurs aspects. L'un était une baisse soutenue des valeurs foncières qui a paralysé le secteur financier de ce pays, car la propriété était la principale garantie de crédit dans ce système. 

Un autre élément de la détérioration du Japon était la profonde antipathie de Tokyo à reconnaître l'étendue des créances douteuses dans le système, et la pression exercée par les autorités sur les banques pour éviter de forcer les emprunteurs à s'effondrer. 

La leçon des décennies perdues du Japon est que sans un nettoyage de la dette en temps opportun et une stimulation de la demande, l'état d'esprit de désendettement pourrait s'enraciner dans le secteur privé et, après un certain point, même des taux d'intérêt nuls ne pourraient plus aider.

Or, les choses semblent aller dans la direction opposée.

À titre d’exemple, le taux de change entre le dollar et le renminbi chinois s’est apprécié de 6 pour cent sur la dernière année.

De plus, il ne faut pas oublier qu’une telle dépréciation revient à taxer le consommateur chinois car elle augmente les coûts des importations et subventionne les exportations. Si la Chine voulait promouvoir une plus grande demande intérieure, elle devait permettre au renminbi de s'apprécier, d'enregistrer des déficits de comptes courants et de restructurer les créances douteuses.

Mais avec de tels déséquilibres structurels, cela s'avérerait politiquement extrêmement difficile et causerait des difficultés économiques à court terme. Ainsi, le risque ici est que la situation actuelle perdure au fur et à mesure que la récession de bilan s’enracine.