fbpx

En règle générale, en tant qu’européen, nous nous intéressons peu à l’actualité africaine et donc nous ignorons bien souvent ce qu’est le Franc CFA.

Et pourtant … Voilà un sujet d’une importance capitale !

Pour les personnes vivant en Afrique subsaharienne, le franc CFA est, dans le meilleur des cas, une devise unique d’échange et, dans le pire, il est le symbole de la continuité de la colonisation française en Afrique, quelle que soit la véracité de ces propos.

Qu’est-ce que le franc CFA ? Quels sont ses différents principes ? Et pourquoi ce sujet est bien plus polémique que ce que l’on pourrait penser ?

Histoire et présentation

Pour mieux saisir la polémique entourant cette monnaie, il est essentiel de se plonger dans son histoire. Le franc CFA voit le jour en 1939 à la veille de la Seconde Guerre mondiale, mais il ne deviendra actif que le 26 décembre 1945, quelques mois après la ratification des accords de Bretton Woods. 

Le décret n° 45-0136 du 25 décembre 1945 est le document officiel qui a fixé la valeur du franc CFA par rapport au franc métropolitain et lui a conféré l'une de ses caractéristiques principales : sa parité fixe ! 

Ce décret a été signé par le président intérimaire de l'époque, Charles de Gaulle, et contresigné par les ministres des Finances et des Colonies. 

Dans un premier temps, cette parité était fixée à 1,7 franc français métropolitain pour 1 franc CFA, puis elle est passée à 2 francs français en 1948.

Avant la période des indépendances africaines, c'est-à-dire avant les années 1958-1960, le franc CFA était l'acronyme de "Colonies Françaises d’Afrique". Depuis cette période, il désigne soit "Communauté Financière Africaine", soit "Coopération Financière en Afrique" selon la zone concernée.

En ce qui concerne le territoire, la zone franc est créée en 1939, regroupant tous les territoires africains sous domination française. Aujourd’hui, on dénombre deux groupements utilisant le franc CFA comme devise officielle que sont : l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale.

Suivant ces deux regroupements, le franc est aussi subdivisé en deux grands ensembles selon leur banque d'émission et leur localisation :

1° En Afrique de l’Ouest, c’est la zone UEMOA, pour "Union Économique et Monétaire Ouest Africaine". Son symbole est XOF et il est utilisé par le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.

2° En Afrique Centrale, c’est la zone CEMAC, pour "Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale". Son symbole est XAF et il est utilisé par le Cameroun, la République Centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale et le Tchad.

D’ailleurs, bien que les devises XOF et les XAF soient désignées communément par le même nom de franc CFA et aient la même valeur, elles ne sont pas interchangeables. Il ne s'agit donc pas d'une zone monétaire commune, mais de deux zones juxtaposées.

Principes de fonctionnement

Aujourd'hui, comme il y a presque un siècle, le franc CFA repose sur quatre principes énumérés par l’économiste Ndongo Samba :

1° Le premier concerne le principe de parité fixe. 

Autrement dit, la valeur du franc CFA est arrimée à la monnaie nationale française. Initialement, cette parité était liée au franc français et elle l’est désormais à l’Euro.

2° Le deuxième concerne le principe de liberté d'échanges de capitaux entre les pays africains utilisateurs du franc CFA et entre ces pays africains et la France. 

Cette liberté d'échange en Afrique concerne uniquement les pays de la même zone. Autrement dit, le Togo et le Sénégal peuvent librement échanger, car ils appartiennent à la zone UEMOA et utilisent le XOF. En revanche, la Côte d'Ivoire et le Cameroun ne peuvent pas vraiment échanger directement, l’un appartenant à l’UEMOA et utilisant le XOF et l’autre appartenant à la CEMAC et utilisant le XAF.

Ainsi, bien qu'utilisant le franc CFA, ces deux pays doivent recourir à une devise intermédiaire.

3° Le troisième principe stipule que les pays africains concernés sont tenus de déposer 50 pour cent de leurs réserves de change auprès du Trésor français dans ce que l’on appelle les comptes d'opération. 

Ainsi, tous les trois jours, les banques centrales doivent s'assurer de la conformité de ces réserves et transmettre quotidiennement leur situation comptable aux institutions françaises concernées. Les avoirs des banques africaines sont rémunérés à l'instar des banques commerciales déposant une partie de leurs réserves dans des banques centrales. Tout cela, sans compter que les réserves sont intégrées à la trésorerie du gouvernement français.

4° La quatrième et dernière caractéristique est la garantie de convertibilité assurée par le Trésor français en contrepartie du principe précédent. 

Cette garantie assure que le Trésor français fournira des devises, soit de l’euro, en cas de pénurie pour garantir le bon fonctionnement des pays concernés. Cette mesure est un dernier recours, et pour éviter d'avoir à l'utiliser, la France a des représentants au sein des conseils d'administration des banques centrales africaines susceptibles d’influencer la prise de décisions.

Il convient de rappeler que ces principes ont évolué au fil du temps, même si leur essence est restée la même. 

L’un des plus grands changements concerne sans aucun doute le projet de l'ECO ! 

Mais avant d’évoquer ce projet, il faut bien comprendre que de nombreuses polémiques tournent autour du Franc CFA et à juste titre.

Les polémiques autours du Franc CFA

L'une des premières critiques, et qui persiste jusqu'à aujourd'hui, est le symbole de domination qu'implique le franc CFA. Pour rappel, avant 1960, le "C" de CFA signifiait "colonies". On aurait donc pu légitimement s’attendre à ce que ce nom, chargé d'histoire, soit modifié après les indépendances.

De plus, bien que la signification de l'acronyme CFA ait changé, sa nature même, c’est-à-dire le taux de change fixe qui lui est intrinsèque, implique une supervision, voire une influence, de puissances extérieures aux zones concernées. Ce serait comme si l'émission et la gestion de l'euro étaient supervisées par les États-Unis, par exemple.

Il s’agit sans aucun doute d’un des principes les plus importants du franc CFA puisque cette parité fixe ne tient pas compte des influences des marchés internes. En ce sens, si cette parité fixe favorise le transfert net de valeur avec la France et les pays de la zone Euro, elle rend aussi le système d'octroi de crédit interne très rigide dans la mesure où chaque franc en circulation, suppose le dépôt de 50 pour cent dans les différents comptes d'opérations. Il devient donc compliqué de stimuler l'économie pour une croissance soutenue, sans compter le fait que les pays de la zone n'ont pas les mêmes besoins monétaires. 

Pour couronner le tout, les États membres ne peuvent pas se financer auprès de banques locales comme c'est le cas pour d'autres pays souverains. Le Trésor français consent des avances, mais elles ne peuvent dépasser 20 pour cent des recettes budgétaires des pays. Tout écart est rapidement sanctionné par des difficultés de trésorerie pour le pays concerné qui se voit contraint de contracter des dettes auprès d'organismes internationaux tels que la Chine ou le FMI pour soutenir leur population.

Un point supplémentaire, c’est que le franc CFA est fabriqué en France. Bien que cela présente un risque en cas de sanctions internationales, cette polémique n'a pas vraiment lieu d'être. Faire fabriquer sa devise hors de son territoire ne concerne pas uniquement les pays africains et est couramment justifié pour les pays à économie plus faible, ou pour des pays dont la demande monétaire n'est pas suffisamment importante. L'impression monétaire a un coût, surtout si on souhaite la réaliser correctement sans risquer de faciliter le travail des faussaires. C'est ainsi que plus des deux tiers des pays africains font imprimer leur monnaie en Amérique du Nord ou dans des pays européens comme la France, le Royaume-Uni, la Suède ou encore l'Allemagne.

Si le fait de fixer le taux de change d’une devise à une autre peut constituer à la fois un atout pour les pays utilisateurs de la monnaie, cela suppose également un inconvénient. 

L'avantage de l'arrimage à une devise forte et relativement stable comme l'euro confère au franc CFA une stabilité macroéconomique qu'il n'aurait probablement pas eue en comparaison avec d'autres pays d'Afrique. Cette stabilité se manifeste, notamment, par l'absence de dévaluations imprévues ou de pertes brusques. Le franc CFA, à l'instar de l'euro, a connu son pic d'inflation en 2022. Le Nigeria, a enregistré des pics dépassant 25 pour cent en août 2023.

De plus, l'euro étant une devise forte, toute monnaie qui lui est arrimée l'est aussi, en bien ou en mal. Et, comme nous le savons, une devise forte favorise les importations, rendant les produits étrangers plus accessibles.

Toutefois, le bénéfice d'une devise forte est surtout pertinent pour l'importation de pétrole, or les pays de la zone sont majoritairement producteurs et donc les pays de la zone franc ne peuvent pas se permettre de centrer leurs économies sur la consommation à l’européenne. Ces pays possèdent des ressources à exporter pour soutenir leurs économies, contrairement aux services. 

L'exportation vers des pays hors de la zone euro est presque impossible, ce qui était l'un des objectifs initiaux de la mise en place du franc CFA par la France en 1945. Pendant l'époque coloniale, la France avait le monopole des matières premières produites dans la zone franc et elle était la seule à pouvoir acheter à des prix compétitifs pour alimenter ses industries, puis revendre les produits finis à des prix élevés.

Un autre avantage de la parité fixe est la capacité d'emprunter à des taux d'intérêt faibles, bien que la capacité d'emprunt soit restreinte, car les marchés internationaux ont confiance en la stabilité du franc CFA grâce à son arrimage à l'euro. 

Dans ce contexte, le président de la Côte d'Ivoire a déclaré : 

“Le fait que nous soyons arrimés à l’euro, si nous empruntons des euros, le moment de les rembourser dans cinq ou dix ans, le taux est fixe. Il n’y a pas de problème. Donc, c’est le même taux auquel nous remboursons. Et si nous avions une monnaie, les gens parlent de monnaie flexible, c’est très bien pour certains pays. Mais nous, nous avons une parité fixe. Je suis désolé de le dire, je suis ancien gouverneur de la Banque centrale et peut-être que je ne suis pas objectif. Si les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine n’ont pas tellement de problèmes de dettes, c’est grâce à cette parité fixe”.

Une autre critique a trait au fait que la France ne semble pas avoir rempli le rôle d'assureur qui était convenu. En effet, malgré les crises économiques et monétaires que plusieurs pays de la zone franc ont connues, la France n'a endossé son rôle d'assureur que dans un seul cas, et même dans cette situation, son soutien était partiel. Durant les années 80, les pays d'Afrique de l'Ouest ont subi une crise économique exigeant l'intervention française. Si dans un premier temps la France a respecté sa part du contrat, en 1994, en accord avec le FMI, elle a décidé la dévaluation du franc CFA de 50 pour cent, renchérissant ainsi le coût des importations. Depuis, la France n'a plus vraiment joué son rôle d'assureur, notamment en 2014-2016 lorsque la zone CEMAC a vu ses réserves tomber en dessous d'un seuil critique, équivalant à moins de trois mois d'importations. Ce fut l'intervention du FMI qui permit de rétablir les réserves des banques.

Finalement, le Franc CFA est bien souvent assimilé à une véritable arme politique de la France. Comme mentionné précédemment, la France dispose de représentants au sein des banques centrales ayant un pouvoir décisionnaire. 

En 2010, par exemple, la France a fait bloquer le compte d'opération de la Côte d'Ivoire dans le but de restreindre, voire de limiter, les importations ivoiriennes pour contraindre le président élu et induire son remplacement. 

Ainsi, le franc CFA offre à la France un moyen d'asphyxier un pays ou de manipuler un régime à sa guise. La France exerce un contrôle monétaire presque total via le compte d'opération sur les transactions financières des pays utilisant cette monnaie, ce qui s'explique par le fait que toutes les opérations financières, comme le commerce ou les échanges de devises, passent nécessairement par le Trésor français. Jusqu'aux années 70, la France devait même donner son accord pour toute transaction entre les pays de la zone franc et n'importe quel autre pays.

Le projet ECO

Le projet Eco est un projet économique et monétaire sur lequel les pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest planchent depuis 1987 afin de mettre en place et d’émettre une devise commune, bien que le nom n'ait été décidé qu’en 2019. 

L’Eco était prévu pour entrer en circulation en 2020 et dès la phase projet, il était établi que ce dernier n’aurait d’avenir que si les pays de la zone franc acceptaient de quitter le joug du franc pour s’aligner avec les ambitions de toute l’Afrique de l’Ouest afin d'établir une nouvelle devise commune, au même titre que l’Euro.

La France considérant qu’elle doit avoir son mot à dire sur la décision d'un groupement d’États pourtant souverains, s’est dite favorable à un tel projet.

Ainsi, l’Eco supposerait trois grands changements au système actuel du CFA, dont notamment : 

- Le changement de nom de la devise du franc CFA à Eco. 

- La suppression des comptes d’opération à la Banque de France. 

- La suppression des sièges occupés par des représentants français au sein des conseils et administrations des banques centrales. 

Pour le reste, tout demeurera identique, et la France continuera d’assurer la parité entre l’Eco et l’Euro. Il ne s’agit donc pas d’un changement monétaire comme l'espéraient plusieurs, mais simplement d'une réforme de l’existant.

Les réactions à ce projet ont été mitigées selon qu'on se base sur les médias hors de la zone ou à l'intérieur. Selon certains, il s’agirait d’une avancée majeure, 

tandis que pour beaucoup d'intellectuels et d'économistes, cette mesure est “une arnaque politique” dans la mesure où ce que demandent les peuples africains, c'est la fin du franc CFA et non sa réforme.

L’Eco qui était censé voir le jour en 2020 n’est toujours pas en circulation et la date de lancement est reportée à 2027 suite aux événements du Covid. 

Mais, en réalité, il était très peu probable que le projet soit lancé en 2020 comme prévu, car même si l’idée a mûri depuis 1983, la définition et la décision n'ont été effectuées qu'un an auparavant. Sachant que les économies et les pays présentent des disparités encore plus importantes qu’en Europe et que la moyenne économique générale est basse, le processus et la feuille de route devront s'étaler sur plusieurs années. Plus important encore, c’est le manque de cohésion et de cohérence entre les pays membres. En effet, la position ambiguë des pays de la zone franc au sein de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, au travers d'initiatives comme celle abordée précédemment, tend à convertir 

Reste à savoir si la monnaie unique sera la solution pour booster l'économie et le commerce entre les pays africains concernés.

D’ailleurs, avant de terminer, pour les personnes intéressées par le sujet, il vous est possible de lire le livre "L'arme invisible de la Françafrique : Une histoire du franc CFA" des auteurs Fanny Pigeaud et Ndongo Samba.