En décembre 2022, la coalition occidentale a pris la décision d’adopter un énième train de sanctions vis-à-vis de la Russie.
Cette condamnation a pour vocation d’affecter les revenus pétroliers du Kremlin afin de clore au plus vite les actions belliqueuses du pays et le conflit en Ukraine qui dure maintenant depuis près d’un an !
En agissant de la sorte, les pays occidentaux ont donc déclenché le plus grand ensemble de sanctions énergétiques jamais imposées à un seul pays.
Or, deux mois plus tard, beaucoup de personnes semblent penser que le plafonnement des prix est un grand succès, alors qu’une deuxième série de sanctions européennes, sur le gasoil et d'autres produits raffinés, est entrée en vigueur ce dimanche 5 février.
Les nouvelles sanctions pourraient-elles enfin s’avérer efficaces ?
Nouvelles sanctions
La politique d'interdiction et de plafonnement des prix du pétrole brut russe de décembre n'a vraisemblablement pas porté ses fruits.
Après une légère accalmie, pendant que les entreprises européennes cherchaient à se conformer au nouveau plafonnement des prix, les expéditions ont repris à un rythme soutenu, non pas vers l'Europe, mais vers la Chine et l'Inde.
À titre d’exemple, les exportations russes de pétrole brut, c’est-à-dire de pétrole non raffiné, ont atteint en moyenne 3,7 millions de barils par jour au cours des quatre semaines précédant le 29 janvier.
Or, compte tenu de cette situation, un partisan du plafonnement des prix et des sanctions occidentales dirait que cela prouve l’efficacité des sanctions.
Beaucoup de personnes mettent en avant l'écart de prix entre, d’une part, le pétrole Brent, qui est la référence mondiale et, d’autre part, le brut russe Oural.
Ainsi, aujourd’hui, le pétrole russe est vendu avec une décote d’environ 38%, c’est-à-dire qu’il se vend 38% moins chers que son homologue européen.
Oui mais il y a un problème !
Aujourd’hui, le pétrole russe ne se vend clairement plus via les canaux traditionnels. Alors que les raffineurs et négociants européens avaient l'habitude de publier les prix pratiqués avec leurs partenaires russes, cette pratique n’est pas appliquée par les acteurs asiatiques qui fixent les prix en privé sans les communiquer.
Les données auxquelles nous avons accès aujourd’hui vis-à-vis de la Russie sont certainement inexactes. En effet, les acteurs réalisant des échanges avec la Russie font croire que les prix pratiqués sont faibles.
En tout cas, une chose est sûre, JAMAIS le volume de pétrole brut exporté depuis la Russie n’avait été aussi élevé qu’en janvier 2023.
L'Europe, qui, jusqu’alors, était le plus gros acheteur de pétrole brut russe, a choisi d’adopter des sanctions et de plafonner le prix de différents produits.
Les sanctions européennes concrètement
Il faut savoir que, dans le cas du pétrole, il est capital de bien distinguer:
- Pétrole brut: pétrole tel qu’il est extrait
- Pétrole raffiné: transformé en produits dérivés (essence, gasoil…)
Les 3 mesures de plafonnement en vigueur :
- Premier plafond : 60 dollars le baril, appliqué depuis le 5 décembre 2022, vise le pétrole brut.
- Deuxième plafond : 100 dollars le baril, appliqué depuis le 5 février 2023, vise les produits raffinés comme le gasoil ou le kérosène.
- Troisième plafond : 45 dollars le baril, appliqué également depuis le 5 février 2023. Il vise les autres produits raffinés comme le fioul ou le mazout.
Ainsi, les acteurs intervenant sur le marché de l’or noir ont l’interdiction de fournir des services de transport maritime de produits pétroliers vers des pays tiers, une assistance technique, des services de courtage, un financement ou une quelconque aide financière en lien avec le transport maritime de produits pétroliers vers des pays tiers ou vers l’Union Européenne si un des trois types de produits ont été acheté à un niveau suppérieur à un des trois plafonds.
En connaissant ces différents plafonds, il est aisé de comprendre que, si un pays comme la Chine ou l'Inde achètent un baril de gasoil russe, les entreprises européennes ne pourront pas financer le transport du pétrole de la Russie vers l'Inde.
Les pays asiatiques: les nouveaux gagnants
Le problème c’est que les pays européens sont extrêmement dépendants du gasoil.
Ainsi, pour contourner ces plafonds, la Russie ne vend non plus de pétrole raffiné mais du pétrole brut, notamment à l’Inde qui se charge de le raffiner et de le vendre aux pays européens et aux États-Unis.
La Russie ne peut plus vendre son pétrole brut à l'Union européenne et aux États-Unis mais il lui est toujours possible de l’exporter à des pays tiers.
Il suffit qu’il y ait un intermédiaire au milieu et ça y est, plus aucune restriction ne s’applique et il peut donc librement circuler…
Les raffineurs indiens peuvent donc acheter du pétrole brut russe très bon marché, afin de le transformer en gasoil et ainsi le vendre au prix du marché sans aucun plafonnement puisque le pétrole n’est plus censé être d’origine russe.
Et c’est exactement ce que l’on observe actuellement puisque l’Inde a acheté une quantité record de pétrole russe le mois dernier.
Dans le même temps, l’Inde a expédié l’équivalent de 89.000 barils et 172.000 barils par jour d'essence et de diesel aux États-Unis et en Europe.
Le développement d’un marché parallèle
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les entreprises occidentales, se sont retirées du commerce, de l'expédition et de l'assurance du pétrole russe.
A leur place, de nouveaux venus ont aidé à écouler le brut du pays : Hong Kong et Dubaï.
Jamais une telle situation n’avait été vécue auparavant et le système énergétique mondial devient de plus en plus dispersé, divisé et dangereux.
Le besoin de la Russie pour cette chaîne d'approvisionnement alternative, présente depuis le début de la guerre, est devenue plus pressante après le 5 décembre, lorsqu'un ensemble de sanctions occidentales est entré en vigueur.
Le marché gris
Sauf qu’une nouvelle infrastructure de transport maritime et de financement dans l’ombre s’est développée et ce marché, que l’on appelle le “marché gris”, a eu le temps de croître, bien avant que les nouvelles sanctions soient appliquées.
Des pétroliers en piteux état, vieux d'un demi-siècle, naviguent vers des clients clandestins.
Ils sont renommés et repeints avec pour objectif de mélanger le pétrole russe à d'autres pétroles, afin de brouiller les pistes et ainsi empêcher de tracer l’origine de l’or noir.
Jusqu’à ce que la mesure de plafonnement des prix soit appliquée, la Grèce jouait un rôle déterminant dans la capacité qu’avait la Russie à livrer en pétrole ses partenaires commerciaux.
La Grèce s’est opposée au plafonnement des prix et aux mesures visant à sanctionner le pétrole russe. Ainsi, nous assistons aujourd’hui à une explosion des ventes de pétroliers d'occasion en provenance du pays hellénique.
Et sur le long terme?
Reste à savoir si les raffineries en Inde ou dans d'autres pays tiers ont une capacité de raffinage suffisante pour remplacer les raffineries russes, européennes et américaines.
Cela semble être le cas puisque la plupart des achats réalisés par l’Inde et la Chine sont directement raffinés et revendus.
Cependant, dans le cas où la réponse venait à être négative dans les mois à venir, nous pourrions assister à un rétrécissement des volumes de gasoil.
Les sanctions nuisent aux finances publiques russes, et nous avons eu l’occasion d’en parler dans un précédent article, pour autant, les dommages restent encore relativement faibles.
Cette situation plus que loufoque est révélatrice de la situation dans laquelle nous nous trouvons : nous avons besoin du pétrole russe et nous souhaitons avoir du pétrole russe mais nous ne voulons pas l'acheter directement à la Russie.
Ainsi nous payons le pétrole plus cher à l’Inde qui provient de russie.