fbpx

En fin de semaine, l'indice KBW des banques américaines, qui regroupe les principales banques américaines, a enregistré la plus forte baisse depuis juin 2020 en pleine pandémie.

Pour autant, il y a deux banques qui se trouvent actuellement dans la tourmente et ce sont les quatorzième et seizième plus grandes banques américaines.

Ce sont la SVB Financial Group dont les actions ont chuté en une seule journée de plus de 60 % et la First Republic Bank qui se sont mises à chuter de 30 %

Qu’est-il en train de se passer au sein du système ?

Sommes-nous aux portes d'une nouvelle crise financière systémique ?

Le premier domino à tomber

Bref historique:

Il faut savoir qu’à partir du début des années 80 et jusqu’au milieu des années 2000, les banques étaient hyper-endettées par rapport à leur trésorerie disponible. 

Or, en 2008, cet effet de levier avait été multiplié par près de 5 et, pour 33 dollars de dettes, les banques ne possédaient que 1 dollar en cash…

Toujours est-il que cet hyper-endettement était la conséquence directe de l’abaissement des taux d’intérêt et de la mise en place de politiques publiques visant à favoriser l’accès à la propriété aux ménages américains.

Or, à partir de 2008, la crise financière éclate et les institutions bancaires les plus endettées se retrouvent en difficultés provoquant la faillite de certaines d’entre elles.

La chute de certaines banques s’est diffusée à l’ensemble de l’économie contraignant la Réserve Fédérale et le Gouvernement américain à intervenir afin de sortir du portefeuille des banques les actifs pourris dans le but de les remplacer par des liquidités.

Ce renflouement a donc eu pour conséquence de réduire l'effet de levier des banques américaines.

Sauf qu’à partir de ce moment-là, une multitude de réglementations sont adoptées dont notamment la Dodd-Frank Act, ainsi que les Accords de Bâle 3, afin de mieux contrôler l'effet de levier bancaire et d’assurer une liquidité suffisante de manière à éviter une nouvelle crise bancaire.

Pourtant, si les effets de leviers ont drastiquement été réduits et les liquidités ont coulé à flot ces dernières années, notamment au travers du Quantitative Easing (lire notre article pour mieux comprendre), le système financier reste sujet à de nombreux dysfonctionnements. 

Ainsi, en réalité, si les réglementations qui ont été adoptées, ont bel et bien permis de réduire les effets de levier, le risque n’a en fait pas été éliminé.

Explication de l’activité bancaire 

L’activité d’une banque consiste à jouer le rôle d’intermédiaires au travers de la concession de crédits en prêtant de l’argent à des emprunteurs. Pour se faire, elle se finance en s’endettant vis-à-vis des déposants.

La banque gagne la différence entre son taux auquel elle prête et les intérêts qu'elle verse aux déposants. 

Néanmoins, il y a d’autres facteurs à prendre en compte car cette simple activité ne suppose aucun risque dans la pratique.

Exemple:

En effet, si je prête de l’argent sur un an et que je m’endette sur deux ans, alors, aucun risque, en principe, je devrais rembourser mes dettes d’ici deux ans mais j’aurais récupéré l’argent que j’ai prêté bien avant puisque d’ici un an.

Or, les banques font justement l'exact inverse.

Le fait est que, une banque réalise ce que l’on appelle une “transformation d’échéance” d’une part et, d’autre part, une “transformation de liquidité”.

Concrètement, cela signifie que la banque prête à long-terme et s’endette à court-terme : transformation d’échéance; et prête en faisant usage d’actifs difficilement revendables alors qu’elle s’endette sur des passifs extrêmement liquides, traditionnellement des comptes bancaires.

Sauf qu’à n’importe quel moment les banques peuvent devoir rembourser leurs créanciers alors qu’elles n’auront de la trésorerie qu’au bout de 10, 20, voire 30 ans et, même si elles veulent revendre leurs actifs pour avoir de la trésorerie rapidement afin de rembourser leurs dettes, soit elles n’y parviendront pas, soit elles devront potentiellement brader le prix à cause d’un manque de liquidité. 

Encore une fois, on retrouve nos fameuses transformations d’échéances et de liquidités.

Si les banques ne tombent pas régulièrement en faillite, c’est précisément parce que la Banque Centrale agit en tant que prêteur en dernier ressort et refinance les banques en cas de besoin pour couvrir leur déficit de liquidités les incitant ainsi à prêter à long-terme en se refinançant à court-terme ce qui accroît ainsi leur effet de levier.

Au travers de ces réglementations, les banques commerciales ont été obligées de maintenir un Ratio de Couverture de Liquidités supérieur à 100%.

Cela signifie qu’elles doivent constamment posséder des actifs liquides de haute qualité afin de pouvoir rembourser leurs dettes c’est-à-dire faire face aux retraits d’argent, notamment en cas de crise.

En d’autres termes, cela revient à dire que les banques du monde entier sont obligées de conserver au sein de l'actif de leur bilan des actifs liquides de haute qualité.

Ils ont utilisé cette nouvelle réglementation pour obliger les banques à financer les États en prétextant vouloir protéger le système financier et bancaire. 

Cela permettra ainsi de faire baisser les taux d’intérêt et donc d’augmenter notre endettement à faible coût.

Évidemment, cela est passé comme une lettre à la poste et les dettes d’États étaient automatiquement considérées comme étant sans risque.

Or, en agissant de la sorte, les régulateurs ont tout simplement obligé les banques à se surexposer à ce que l’on appelle le risque de taux et donc un risque de perte d’argent énorme en cas de remontée des taux d’intérêt notamment en raison d’une envolée inflationniste.

Sauf qu’à cette époque, l’inflation était au plus bas et une remontée des prix était le cadet de leurs soucis.

En ce sens, leur manque de clairvoyance et leur court-termisme leur empêchait tout naturellement de mesurer les risques auxquels ils allaient exposer l’ensemble du système financier. 

Sauf que voilà !

La pandémie de coronavirus survient et, les banques centrales, au travers de politiques monétaires laxistes visant à baisser les taux d’intérêt et, les gouvernements, au travers de politiques budgétaires de relance stimulant la demande au-dessus des capacités de production, ont provoqué une envolée inflationniste obligeant les autorités monétaires à relever les taux d’intérêt afin de lutter contre cette hausse généralisée des prix.

L'inflation frappe fort...

Or, étant donné que les banques centrales tentent de lutter contre l'inflation au travers d’une augmentation des taux d'intérêt et en drainant les liquidités excédentaires qu'elles ont introduites au cours des dernières années, nous sommes passé en moins d’un an d’une situation de quantitative easing, c’est-à-dire d'assouplissement monétaire à une situation de quantitative tightening, c’est-à-dire de resserrement monétaire.

Et, évidemment, ce passage d’un extrême à l’autre, se traduisant par une hausse drastique des taux d’intérêt, affecte négativement la valeur des obligations. Celles-ci sont détenues, entre autres, par les entités financières et notamment les banques.

Sauf qu’il existe une relation inverse entre le taux d'intérêt et la valeur actuelle d'une obligation.

En ce sens, lorsque les taux d'intérêt baissent, la valeur actuelle des obligations augmente et, inversement, lorsque les taux d'intérêt montent, la valeur actuelle des obligations diminue.

Sur ce graphique, on observe clairement cette relation inverse et on voit comment l’augmentation phénoménale des taux à laquelle nous assistons actuellement provoque d'énormes moins-values latentes.

Le problème, c’est qu’actuellement, les taux d’intérêt s’envolent partout autour de la planète.

Évidemment, bien que la valeur des obligations baisse en cas de remontée des taux, si la banque ne revend pas celles qu’elle possède en portefeuille, cette situation n’a aucun impact sur elle.

C’est un petit peu comme un investisseur immobilier qui loue un appartement et touche des loyers. Même si le prix de l’appartement baisse, s’il n’a pas l’intention de le revendre, cette baisse de valeur ne l’affecte pas et il continue de percevoir ses loyers normalement : on parle donc de moins-value latente.

De plus, les normes comptables, permettent aux banques qui possèdent des titres de créance et qui ont l'intention manifeste et la capacité de les détenir jusqu'à leur échéance de les comptabiliser au coût amorti”.

Autrement dit, cela signifie que, même si le portefeuille des banques est rempli de moins-values latentes, il leur suffit de comptabiliser leurs obligations dans cette catégorie pour faire disparaître les pertes au niveau de leur bilan.

Le fait est que, jusqu’à ce que le Quantitative Easing prenne fin, les banques n’avaient pas trop de soucis à se faire car, les banques centrales rachetaient les obligations détenues par les banques en l’échange de réserves, et non pas en faisant tourner la “planche à billets” comme certains le prétendent, ce qui leur permettait de réduire leur exposition au risque de taux.

Sauf que cette période est révolue et, aujourd’hui, le Quantitative Tightening vise précisément à retirer ces réserves du système. 

Comment sont retirées les réserves ?

Soit en laissant échoir les obligations d’État et en détruisant les réserves, soit en revendant aux banques les obligations d’États contre des réserves détenues.

Dans tous les cas, cela signifie que, non seulement les réserves sont retirées du système, ce qui assèche les liquidités au moment où les banques ont en le plus besoin, mais, en plus, cette situation expose de nouveau les banques aux obligations et ce, au pire moment puisque les taux remontent.

Le problème, c’est que les réserves ne diminuent pas de la même manière pour les grandes et les petites banques qui voient leurs réserves diminuer beaucoup plus rapidement.

En outre, et pour couronner le tout, ce n’est pas la seule conséquence de l’augmentation des taux d’intérêt. 

En effet, dans la mesure où, désormais, la dette d’État devient plus intéressante puisque le rendement est plus élevé et le risque est considéré comme très faible voire nul, de plus en plus de ménages américains décident de retirer leur argent de leurs comptes bancaires pour acheter des obligations d’États.

D’ailleurs, on le voit très clairement au travers de ce graphiques, depuis leur niveau maximum, les dépôts bancaires américains ont chuté de près de 3%, c’est-à-dire un chiffre proche de celui observé au cours de la crise de 2009 et, dans le même temps, les ménages ont énormément augmenté leur exposition à la dette publique américaine :

De ce fait, on est en mesure de comprendre les problèmes auxquels les petites et moyennes banques américaines sont confrontées.

Non seulement, elles ont un portefeuille d'investissement à long terme qui s'est énormément déprécié en raison de la hausse des taux d'intérêt mais, en plus, compte tenu du resserrement monétaire et de l'assèchement des liquidités, elles se retrouvent dans l’obligation de vendre une partie de ces obligations dépréciées.

Or, cette liquidation forcée engendre des pertes de plusieurs milliards de dollars qui remettent en cause leur solvabilité à long terme.

Le problème, c’est que ces banques ne sont que partiellement couvertes par la FDIC, c’est-à-dire la Federal Deposit Insurance Corporation.

Or, cette institution qui est l’équivalente américaine du FGDR, c’est-à-dire le Fonds de Garantie des Dépôts et de Résolution en France, a pour objectif de venir en aide aux banques et institutions financières se trouvant en difficultés afin de couvrir les risques de faillite.

À titre d’exemple, seuls 2,7% des dépôts de la Silicon Valley Bank sont inférieurs à 250.000 dollars. Cela signifie que 97,3%des dépôts ne sont pas assurés et les déposants devront probablement accepter de perdre leur argent.

En ce sens, les déposants se sont tout naturellement rués vers la banque pour retirer massivement leur argent provoquant ce que l’on appelle en finance un Bank Run.

Vers une crise systémique ?

Cet événement a donc évidemment eu pour conséquence d’aggraver encore plus la crise de liquidité dans laquelle se trouve la Silicon Valley Bank poussant les autorités américaines à fermer la banque.

Le fait est que, la plupart des petites et moyennes banques américaines vivent la même situation dans la mesure où le resserrement monétaire a pour conséquence de drainer les réserves que ces dernières possèdent auprès de la Réserve Fédérale Américaine.

De cette manière, si, elles aussi, venaient à se retrouver dans l’obligation de liquider une partie de leur portefeuille d’actifs obligataires en raison d’une perte de confiance de la part des déposants ou en raison des tensions que l’on observe actuellement au sein du système économique et financier, alors, l’on pourrait clairement s’attendre à ce que la SVB et la First Republic Bank ne soient en réalité que les premiers dominos à tomber.

En ce sens, la chute des petites et moyennes banques pourrait provoquer la chute des grandes banques telle une crise systémique, dans la mesure où l’ensemble des institutions financières sont étroitement liées les unes des autres.

En outre, il ne faut pas oublier que les tensions sur le système bancaire américain ne se cantonnent évidemment pas au pays de l’oncle Sam et va bien au-delà, de sorte que les banques européennes y sont également exposées, tout comme certaines entreprises ou encore l’écosystème des cryptomonnaies.

2 scénarios

Aujourd’hui, les États et les banques centrales se trouvent donc clairement dans une impasse et ont le choix entre deux solutions : 

  1. Soit ils décident de sauver les banques et de calmer cette crise de liquidité en injectant de nouvelles liquidités et en baissant de nouveaux les taux d’intérêt ce qui permettrait de mettre fin au drainage des réserves et de revaloriser les obligations que les banques possèdent au sein de leur portefeuille permettant mécaniquement de résorber les pertes latentes à l’intérieur du bilan des banques commerciales.
  2. Soit ils décident de laisser tomber les banques et continuent d’augmenter fortement les taux d’intérêt et de drainer les réserves du système.

Évidemment, ce choix cornélien ne sera pas sans conséquences. 

S’ils optent pour la première solution, alors, c’est leur lutte contre l’inflation qui serait remise en question ce qui serait susceptible de provoquer une perte de confiance vis-à-vis des monnaies et donc plus d’inflation impactant négativement les citoyens.

S’ils optent pour la seconde solution, la probabilité de faillites au sein du système financier pourrait s’accroître, ce qui impactera également négativement les citoyens.

On comprend donc que la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement n’est que le résultat des mesures prises hier. 

Les gouvernements et banques centrales occidentales n’ont fait que refiler la patate chaude au fil du temps tant du point de vue réglementaire que du point de vue des politiques budgétaires et monétaires.

Ces derniers sont responsables de la surexposition des banques aux obligations tout comme ils sont également responsables de cet abaissement des taux d’intérêt à des niveaux ridiculement bas au travers de leurs manipulations monétaires ainsi que de l’envolée historique de l’inflation au travers de leur politique de stimulation budgétaire au cours de l’année 2020/2021

La reprise de l’inflation allait nécessairement déclencher une hausse des taux provoquant un abaissement de la valeur des bilans des banques de part leur surexposition aux obligations à cause de la réglementation et donc un affaiblissement de la solvabilité des institutions financières auxquelles l’ensemble de la population est exposée.

Les cryptomonnaies se trouvant actuellement dans la tourmente, puisque de nombreux acteurs sont étroitement liés au monde financiers et bancaires, et dans un souci de “protection” des déposants, il y a fort à parier que les autorités et de nombreux individus se mettent à vanter les louanges des monnaies digitales des banques centrales …